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16 septembre 2012 7 16 /09 /septembre /2012 16:20

Raoul DautryDans le tumulte de l’Histoire semble indéfiniment se rejouer la confrontation des inconciliables, étions-nous parvenus à conclure au terme de notre précédent billet. Or Raoul Dautry présente sur ce point une particularité : très jeune déjà, il présente une étonnante capacité à se préserver de la confrontation.

On mesurera les effets salvateurs de cette posture lorsque, élevé après le décès de son père par sa très catholique et traditionaliste grand-mère paternelle, il sera accueilli avec le même bonheur après le décès de celle-ci dans le foyer radicalement anticlérical et progressiste de sa tante. A aucun moment il ne songe à épouser ni à repousser les valeurs de l’un ou de l’autre de ses foyers successifs. Au contraire, rapporte Rémi Baudouï dans Raoul Dautry, le technocrate de la République, il n’opère aucune distinction entre l’éducation confessionnelle et l’enseignement laïque auxquels il se soumet successivement de bonne grâce. Au-delà des contradictions qui opposent ces deux systèmes, lui retient leur fond commun de patriotisme, de culte de l’obéissance et de l’honneur pour s’inspirer d’un idéal commun d’effort et de sacrifice hors duquel il n’est point selon lui de « vie radieuse.»

Bref, Raoul Dautry ne se focalise pas sur ce qui divise ; il s’appuie sur ce qui est susceptible de rassembler.

C’est cette même volonté de ne pas succomber à la confrontation des antagonismes que l’on retrouve chez le jeune polytechnicien lorsque, à vingt ans, il débarque en 1900 de sa province dans la prestigieuse école secouée, par l’affaire Dreyfus.

Lui, Dautry, est Dreyfusard mais loin de se consacrer à l’affaire qui agite la France entière, il investit toute son énergie dans une quête personnelle de connaissances, de compréhension et de savoirs opérationnels que l’institution, estime t-il, n’est plus en mesure de lui apporter.

Dautry brille dans ce contexte par son pragmatisme.

C’est encore cette volonté de désamorcer la confrontation des antagonismes que l’on retrouve dans les rapports du jeune inspecteur de la Voie du réseau du Nord lorsque, prônant la création de postes de médecins, de maisons de cure ou encore de garderies d’enfants, il écrit en novembre 1917 à sa hiérarchie : « Il faut bien se convaincre de ce fait que la France est pauvre en hommes et que toute dépense faite pour sauver une vie n’est jamais une charge. Il y a tant d’économies à faire à la Compagnie qu’on pourra, avec elles, si on sait y intéresser le personnel, soulager bien des misères des agents et améliorer le sort de n os agents qui, dans les durs moments que nous traversons, n’ont jamais marchandé leur peine. »

Le message est clair : la Compagnie peut et doit associer son personnel à une politique d’économies dont il serait bénéficiaire, trouvant ainsi la juste contrepartie de la rudesse du métier dans un contexte difficile.

Six mois plus tard rappelons-le, c’est Raoul Dautry qui s’engagera à construire en trois mois une voie de contournement du front de la Somme déterminante pour l’issue de la guerre et que les services du Génie militaire estimaient inconstructible en moins de dix-huit mois.

 

Ville laborieuse, ville dangereuse?

 

Plan cite NB

 

Dans le tumulte de son époque, Raoul Dautry semble être mu par les ressorts de la dialectique. Dans les intérêts contraires des uns et des autres, il puise matière à servir l’ensemble.

C’est cette permanente volonté de dépasser les antagonismes que nous retrouvons dans le plan de sa cité modèle de Tergnier.

Cette fois, Dautry ne préconise plus la création de postes de médecins ou l’aménagement de garderies d’enfants ; il vise la création d’une ville, dans toutes ses dimensions spatiales et sociales, et doit convaincre les décideurs de la Compagnie et de son époque.

Sa tâche s’annonce délicate.

Les stigmates de la guerre, si profondes soient-elles dans les consciences, n’effacent pas totalement celles de la grève de 1910 vécue par les grands capitaines d’industrie comme un véritable traumatisme.

Les dissensions qui ont ébranlé l’Internationale Socialiste à la veille de la guerre et les bouleversements sociaux intervenus dans l’enfer des tranchées nuancent singulièrement le spectre d’une révolution ouvrière mais l’époque n’est pas loin, encore, où les classes laborieuses étaient réputées être des classes dangereuses.

La construction d’une « ville laborieuse » passe dans ces conditions pour un pari audacieux, voir provocateur. Qui plus est la construction d’une ville laborieuse corporative, avec tout ce que cela sous-tend de particularismes qui échappent à la coupe réglée d’un système politique dont l’une des premières préoccupations fut d’interdire sous la Révolution les corporations.

Bref, au risque de passer pour un missile téléguidé de l’Internationale Socialiste ou pour un nostalgique de l’ère prérévolutionnaire, Dautry doit convaincre les décideurs de la Compagnie et de son époque de se réconcilier avec l’inconciliable.

Encore faut-il qu’il les rassure quant à ses intentions.

Dans un contexte marqué par l’avènement de la Franc-maçonnerie aux plus hautes fonctions de la vie publique et économique - ce qui, nous l’avons vu, nourrit le feu antimaçonnique -, on peut aisément imaginer que Raoul Dautry, en recourant au langage maçonnique, ait lancé un signe de reconnaissance susceptible de lui ménager au préalable un terrain favorable à l’argumentation.

Le recours à la planche tracée lui procure par ailleurs, et peut-être même en tout premier lieu, un autre avantage considérable : celui de pouvoir présenter simultanément l’esprit de son projet et sa matérialisation. Car les formes qu’il assigne à sa cité sont aussi des signes préalablement connus et reconnus par ceux-là même qu’il veut convaincre et forment en cela autant d’éléments de codage d’un langage dont l’assemblage forme un discours.

niveau 2 ARaoul Dautry ne réfute pas l’association encore largement répandue des classes laborieuses aux classes dangereuses. Le premier des cercles qu’il imprime au plan de sa cité contient d’ailleurs un carré imparfait constitué et maillé de rues aux noms évocateurs des désordres de l’Humanité. Tout, dans ce secteur de la cité ouvrant sur la ville voisine, renvoie à l’imperfection, au désordre, au chaos.

Mais à la différence de nombre de grands capitaines d’industrie qui n’ont de cesse d’en appeler à l’intervention de la troupe lorsque survient le désordre, lui, Raoul Dautry, croit aux vertus de l’éducation.

En progressant un peu plus vers le cœur de sa cité selon l’axe du fil à plomb qui incarne, rappelons-le, l’introspection, le second cercle est une ellipse, évocation de l’œuf dans lequel prend forme la vie et s’ajustent mutuellement les différentes fonctions de l’organisme. Un incubateur en quelque sorte, dont la pierre brute figurée entre les premier et deuxième cercles par un rectangle imparfait ressort polie, c’est-à-dire parfaitement rectangulaire et adossée au carré parfait contenu dans le troisième cercle où les rues évoquent cette fois la connaissance, portée selon l’axe de la course du soleil par un idéal frappé du sceau… de la Maîtrise maçonnique.

L’assemblage des symboles tels que nous nous sommes efforcés d’en décrypter la signification au fil de notre parcours, forme la trame d’un discours en tout point semblable à celui que Dautry développera par la suite au fil de ses conférences et interventions publiques.

« En tout point » sauf un : à maintes reprises, Raoul Dautry exhortera ses auditoires successifs à se laisser porter par un idéal mais à aucun moment - sauf peut-être dans des cercles très restreints - il n’imprima à son idéal le sceau de la Franc-Maçonnerie.

D’où tenait-il dans ces conditions, cette maîtrise du langage symbolique traditionnel qui lui permit de réaliser sa planche tracée ?

Dautry, on le sait, était féru de Compagnonnage. Rémi Baudouï le note dans son ouvrage consacré au Technicien de la République : dans le petit village de Lourmarin dont le père des cités cheminotes de la Compagnie du Nord est devenu maire à la libération, une enseignante tire ses dictées du livre Compagnonnage dont la préface est signée Raoul Dautry.

A t-il directement à voir avec le Compagnonnage ? L’hypothèse paraît peu vraisemblable au regard d’un parcours qui ne cède aucune place à un tour de France tel que l’impose aux siens le Compagnonnage.

Jean-Bernard lui-même au demeurant, le, confirme dans son ouvrage intitulé Le Compagnonnage lorsqu’il commente les propos tenus en 1950 par Raoul Dautry.

« Il faudra que les Compagnons restent les gardiens de cette part inviolable et oubliée de notre humanité : l’âme ouvrière » déclarait alors l’ancien ingénieur de la Voie.

Dans cette mission, il voyait les conditions de la survie des Compagnons mais aussi « l’accomplissement d’une œuvre aussi grande que celle des bâtisseurs de cathédrales leurs pères. »

Commentaire de Jean Bernard qui, au passage, ne « refuse » pas dans le cas présent la référence aux confréries de bâtisseur du Moyen Age : les propos de Raoul Dautry sont une belle définition du Compagnonnage, venue « d’un homme qui était de l’extérieur par rapport à nous. »

Se peut-il dans ce cas que, depuis « l’extérieur », Dautry se soit patiemment exercé à la maîtrise du langage des symboles comme nous nous y sommes patiemment initiés, Daniel Druard et moi-même, depuis trois ans sur ses pas ?

L’exercice - nous devons le confesser - est aussi laborieux que délicat. Il eut fallu que l’autodidacte profane soit suffisamment sûr de sa parfaite maîtrise du langage des symboles pour y engager le sort d’un projet aussi audacieux que celui de ses cités cheminotes.

Dernière hypothèse - probablement celle qui brûle toutes les lèvres - : Raoul Dautry a t-il été rompu aux subtilités de la planche tracée et du langage symbolique dans le secret d’une loge maçonnique ?

En l’absence de trace formelle, toute réponse, qu’elle soit affirmative ou négative, ne peut relever que de l’intime conviction.

Pour notre part, tout juste retiendrons-nous que si Dautry a puisé ses forces et sa conviction dans l'idéal maçonnique, alors force est de constater qu'il a su refaire en sens inverse le chemin qui avait conduit à la dissolution, dans la vague spéculative, des anciennes confréries de métiers.

Force nous est également de constater que le choix du site de Tergnier, ville alors très ouverte à la Franc-Maçonnerie, ne résulte peut-être pas dans ce cas du seul hasard des capacités techniques.

L'hypothèse confère à son oeuvre un caractère intemporel qui nous touche d'autant plus que nous vivons aujourd'hui cette crise née de la mondialisation de l’économie libérale dont il pressentait le caractère inéluctable.

La révolution russe qui partagea le monde entre les économies libérale et planifiée, puis les deux guerres mondiales, ont repoussé l'échéance mais passé le cap de la réconciliation franco-allemande et de la chute du mur de Berlin, les projections dressées à l'aube du XXe siècle par Raoul Dautry recouvrent un siècle plus tard toute leur pertinence.

 

Et maintenant?

 

patrimoine 2012

 Dimanche 16 septembre 2012: jamais la thématique des journées européennes du patrimoine n'avait aussi bien cadrée avec les explications de Daniel Druard qu'en ce jour où nous bouclons notre parcours sur les traces de Raoul Dautry.

 

Nous voici donc parvenus au terme de notre parcours sur les traces de Raoul Dautry.

Le hasard a voulu que nous plantions notre drapeau aux portes de la Cité modèle ce dimanche 16 septembre 2012 durant les journées européennes du patrimoine focalisée cette année sur le patrimoine " caché."

« Inviter à découvrir les patrimoines cachés, c’est faire appel à notre âme d’enfant, à la joie de lever le voile sur une part du mystère et au plaisir de lever le nez ou de baisser le regard sur des trésors insoupçonnés » clame la ministre de la Culture et de la Communication Aurélie Filippetti.

Puisse Tergnier donc, préserver et partager longtemps encore ces trésors.

Pour ce qui concerne Citemodele, l’aventure ne s’arrête pas là.

Nous voulions tester les capacités des technologies modernes de communication «  à distance » à tisser du lien durable. L’expérience s’avère tout à fait probante.

Au passage, Merci à Over Blog qui nous a offert les moyens techniques de la mener, ainsi qu’à toutes celles et ceux qui, parfois dans l’ombre, nous ont aidés à démêler l’écheveau de cette formidable aventure humaine.

Il nous reste à présent à compléter et enrichir notre fond documentaire; à explorer également des chemins de traverse que nous avons laissés sur le côté jusqu’à présent pour ne pas nous disperser dans de trop longs détours.

Nous explorerons donc des sujets aussi divers mais aussi étroitement associés à l’entreprise de Raoul Dautry que les multiples déclinaisons, à l’ensemble du réseau du Nord, de la cité modèle de Tergnier ; que les enjeux économiques majeurs du développement du rail, les progrès technologiques qui le rendirent possible, la formation spécifique des Cheminots, ou encore le remodelage du territoire opéré par la révolution du Chemin de fer.

 

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10 septembre 2012 1 10 /09 /septembre /2012 13:15

Constitution

La démocratie n'est-elle que la façade honorable de la Franc-Maçonnerie? C'est autour de cette question que se noueront au crépuscule de la IIIe République les destins respectifs de la Franc-Maçonnerie et du Compagnonnage...

 

 

Poser l’hypothèse selon laquelle les maçons opératifs et spéculatifs auraient pu se retrouver dans la reconstruction de Tergnier par-delà la ligne de fracture qui les sépare depuis la Renaissance revient à éclairer les mystères de la Cité sous l’angle d’une filiation commune sujette à polémiques.

Le propos même du représentant de la Grande Loge de France M. Pavaillon sur la dépouille de Gustave Grégoire témoignent de la teneur de cette polémique.

En clamant haut et fort que «  réfléchir est un travail », il réfute l’argument selon lequel les Francs-Maçons modernes – les spéculatifs – seraient autre chose que des travailleurs tels que les conçoivent les opératifs qui sont l’essence du Compagnonnage.

Le rapprochement ainsi opéré en 1922 lors des funérailles de l’ancien maire de Tergnier est loin de n’être qu’anecdotique au regard des susceptibilités qu’il continue de déchaîner au fil du temps.

Jean-Pierre Bayard dont les travaux nous ont si souvent guidés au fil de notre voyage, en fit lui-même les frais en 1978 lors d’une violente polémique qui l’opposa à Roger Lecotté, ancien conservateur, après la seconde guerre mondiale, des fonds maçonniques et compagnonniques au cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale.

« Roger Lecotté a toujours refusé d’admettre une parenté entre Compagnonnage et Franc-Maçonnerie » écrit-il dans L’esprit du compagnonnage.

En cela, Jean-Pierre Bayard se heurte également à l’inflexible position de Jean Bernard, «  l’unificateur » des mouvements de compagnonnage qui dans, Le compagnonnage précisément, prend délibérément à contre-pied en 1982 la fresque historique dressée en 1975 par Christian Jacq dans La Franc-Maçonnerie.

Oui, confesse t-il, il y a bien eu en Angleterre des « institutions » de métier qui se sont ouvertes à des étrangers au métier, lesquels ont fini par prendre le contrôle.

Oui, admet-il encore, ces étrangers au métier sont à l’origine des constitutions d’Anderson que «  les historiens » considèrent comme l’acte fondateur de la Franc-Maçonnerie ; mais le compagnonnage n’a rien de commun, précise t-il, avec les institutions anglaises de métier dont il évoque l’infortune. Des institutions «  décadentes » estime t-il de surcroît au motif qu’il fallait bien qu’elles le fussent pour accepter d’être utilisées par ceux auxquelles elles ouvrirent leurs portes.

 

Le virage collaborationniste

 

communaute nationaleJean Bernard fait peu de cas du travail d’historien de Christian Jacq. Il s’en explique sans ménagement ni fausse pudeur: il «  refuse » un quelconque rapport entre «  ces maisons anglaises » et le Compagnonnage, tout comme il «  refuse » une quelconque filiation du compagnonnage avec les loges de Strasbourg ou encore de Cologne. Et si le Compagnonnage reste actif aujourd’hui, c’est parce qu’il a su tenir ses distances avec la Franc-Maçonnerie argumente t-il.

Cet argument précisément, nous renvoie directement à un épisode crucial de l’histoire du Compagnonnage dans lequel il tint le tout premier rôle. C’est lui en effet, Jean-Bernard, qui enjoignit le Maréchal Pétain de ne pas mettre dans le même sac Franc-Maçonnerie et Compagnonnage lorsque le gouvernement de collaboration relaya en 1940 la chasse aux «  sociétés secrètes » ouverte par l’Allemagne nazie. Persuasif, il fallait qu’il le fût pour que le Maréchal opère la distinction sollicitée et, de surcroît, finisse par se déclarer protecteur du Compagnonnage qu’il s’efforça dès lors d’intégrer à sa Révolution nationale.

Pour autant, toutes les hostilités envers le courant spéculatif ne traduisent pas une formelle négation de son hypothétique filiation commune au courant opératif avec la même véhémence que celle affichée par Jean-Bernard.

Dans un ouvrage intitulé La tradition cachée des cathédrales, Jean-Pierre Bayard cite à ce sujet Wladimir Nogrodzki, auteur d’un ouvrage réputé consacré au Secret de la lettre G.

Des maçons «  acceptés » qui «  envahirent » les loges opératives, le spécialiste retient les traits «  d’intellectuels parfois savants et surtout lettrés mais pour la plupart incapables de voir et de toucher le sens essentiel des symboles géométriques, ceux-ci en perdant peu à peu leur sang, se transformèrent en carapaces vides et sèches de la routine maçonnique extérieure » sur lesquelles on se mit «  à philosopher à perte de vue » si tant est que l’on ne soit pas «  entièrement embourbé dans la basse politicaillerie de partis. »

La formulation n’est pas des plus limpides mais le jugement est aussi sévère que sans appel. Wladimir Nogrodzki condamne la vacuité des tenus de la Franc-Maçonnerie moderne.

Ce n’est pas la vacuité de leurs réflexions et de leur travail, pourtant, qui est reprochée aux Francs-Maçons lorsque le gouvernement de Vichy déclare la dissolution des loges de France le 13 août 1940.

«  Il serait totalement inadmissible que l’œuvre entreprise en vue du redressement national put être combattue par des organisations d’autant plus dangereuses qu’elles restent cachées, qu’elles recrutent un grand nombre de leurs membres parmi les fonctionnaires et que leur activité tend trop souvent à fausser les rouages de l’Etat et à paralyser l’action du Gouvernement » rapporte des propos du Maréchal le journal officiel du 14 août 1940.

Le message est clair : les rouages de la République sont gangrenés par la Franc-Maçonnerie. Une affirmation largement développée en 1943 par J. Marquès-Rivière dans un ouvrage diffusé par les éditions Jean-Renard sous le titre Règlements et constitution de la Franc-Maçonnerie.

Selon lui, l’organisation et la gestion de la République ne sont qu’une transposition de l’organisation maçonnique destinée à assurer à la Franc-Maçonnerie le plein contrôle de la vie politique, de l’économie et des peuples.

L’argumentation n’est pas tout à fait nouvelle. Depuis le début du siècle foisonnent des revues qui se font fort de fustiger au grand jour et en des termes qui n’ont rien de politiquement correct le complot maçonnique, et même judéo-maçonnique tant il est vrai que l’affaire Dreyfus a laissé de profondes cicatrices dans la société française.

Bref, rien n’a changé, au fond, depuis la suppression des confréries en 64 avant Jésus-Christ par la République romaine qui voyaient en elle un danger pour la sécurité. Rien n’a changé depuis l’interdiction à Rome des cultes païens qui marque à la fin du IVe siècle la fin du Mithraïsme. Rien n’a changé depuis la fermeture de l’école des Mystère d’Eleusis, près d’Athènes, au Ve siècle. Rien n’a changé enfin depuis les assauts répétés de l’Eglise catholique qui, au XIVe siècle, ne supporte plus ces confréries hermétiques à son pouvoir temporel.

C’est à ce stade de notre voyage dans le temps que nous aborderons dans notre prochaine et probablement dernière étape l’hypothèse selon laquelle Raoul Dautry serait parvenu à concilier au travers de sa Cité modèle des intérêts inconciliables depuis 2000 ans.

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23 juin 2012 6 23 /06 /juin /2012 11:36

cathedralesEn développant les germes de son propre déclin, l’âge d’or des cathédrales amorce sur le plan de la spiritualité une profonde période de crise qui, alliée à de grands bouleversements économiques et sociaux, affectera durablement l’élite ouvrière des communautés de bâtisseurs.

L’Histoire en ce domaine, emprunte parfois de bien curieux détours pour revenir finalement à son point initial.

De même que « la substance initiatique de l’ancien monde avait naturellement trouvé refuge dans les collèges d’artisans » lorsque le Paganisme s’était replié devant le Christianisme d’Etat triomphant, c’est à nouveau dans le salutaire secret des loges de bâtisseurs que les nuances d’expression de la spiritualité trouvent les conditions de leur survie lorsque l’Eglise, malmenée sur son flanc par le courant réformiste d’outre-Rhin, se jette à corps perdus dans la guerre à l’hérésie.

Le déchaînement de violence qui s’en suit ne manque pas d’atteindre les communautés de bâtisseurs elles-mêmes mais il en faut plus néanmoins pour briser une dynamique plusieurs fois millénaire.

De fait, l’Inquisition n’épargne pas les bâtisseurs.

Bien que méfiante à leur égard, l’Eglise catholique s’est accommodée du secret des loges aussi longtemps qu’elle l’a considéré comme une contre partie de sa propre prospérité. Lorsqu’elle entend monter en son sein une contestation qui met en cause sa propre administration, tout ce qui était secret passe néanmoins du stade de suspect à celui de potentiellement dangereux. A fortiori ces communautés de bâtisseurs qui ont entretenu des liens étroits avec l’Ordre des Templiers désormais considéré comme hérétique.

 

Les Templier sonnent le tocsin

 

templ22C’est dans ce contexte que retentissent les premiers coups de semonce annonciateurs d’une rupture définitive du statu quo en vigueur depuis la formation des premières communautés monacales un millénaire plus tôt.

C’est d’abord sous Philippe le Bel, le fossoyeur des Templiers, la suppression en 1314 de la charge de Charpentier royal qui prive les confréries de bâtisseurs de représentant au sein du Gouvernement.

C’est aussi et surtout, une dizaine d’années plus tard, la condamnation par le concile d’Avignon des confréries professionnelles considérées comme un état dans l’état, avec ses secrets, ses signes et ses mots de passe, sa spiritualité qui échappe au dogme et ses fêtes qui troublent l’orthodoxie du calendrier catholique officiel.

La confirmation en 1334 par le pape Benoît XII des privilèges précédemment concédés aux maçons semble témoigner d’une volonté d’apaisement de l’Eglise envers ceux qui lui ont permis d’irriguer le territoire de son sang. L’avertissement n’en demeure pas moins d’autant plus sérieux que l’Eglise elle-même demeure en proie à de sérieuses convulsions.

Selon Christian Jacq, c’est à ce climat d’insécurité et de doutes sur l’avenir spirituel et matériel des confréries professionnelles que l’on doit la rédaction vers 1370 des Anciens Devoirs, véritable constitution qui, pour la première fois, consigne par écrit les règles de vie du maçon libre.

Peut-être faut-il y voir de la part de la Maçonnerie une volonté de lever, ne serait-ce que partiellement, le secret pour donner le change à l’Eglise.

Une chose est sûre : la millénaire étanchéité des communautés de bâtisseurs aux vicissitudes de leur environnement présente des signes, sinon de faiblesse, du moins de fébrilité ; et ils vont se multiplier.

Le plus évident de ces signes est probablement la scission en 1401 à Orléans des Compagnons du devoir de liberté, en rupture de ban avec l’Eglise.

Il n’y a pas là de quoi apaiser le climat de suspicion d’hérésie dans lequel les maîtres d’œuvre s’efforcent de maintenir le cap contre vents et marées.

 

Faut-il ouvrir la Franc-Maçonnerie?

 

strasbC’est dans ce tumulte, rappelle Christian Jacq, que dix-neuf maîtres et vingt-six compagnons se réunissent en 1459 à Ratisbone sous la présidence du maître de la loge de Strasbourg Jost Dotzinger dont l’aura illumine l’Europe entière.

Comme à York quatre-vingt ans plus tôt lorsque furent rédigés les Anciens Devoirs, il s’agit de formaliser une révision des coutumes par la rédaction de nouvelles constitutions à l’intention des bâtisseurs mais les enjeux se situent au-delà cette fois, du simple change à donner à l’église.

Selon Christian Jacq, c’est de l’ouverture ou non de la Franc-Maçonnerie au monde extérieur dont il s’agit de décider.

L’assemblée de Ratisbone estime que l’heure n’est pas venue. Pour autant, ses préoccupations témoignent de l’ampleur d’une évolution profonde qui touche à la nature même des loges.

Devant la montée de l’intolérance, elles accueillent de plus en plus fréquemment des non professionnels en quête d’une spiritualité qui échappe aux dogmes de l’Eglise.

Le grand virage est amorcé. Il se confond dans la diminution du nombre de grands chantiers et bientôt, avec la fin de l’âge d’or des cathédrales.

Il se confond aussi dans l’avènement d’une bourgeoisie d’affaire dont la prospérité donne le la à une ère nouvelle dans laquelle les promesses du développement du commerce brillent plus intensément que le caractère sacré du travail manuel.

Lorsque la Renaissance sonne le glas du Moyen-Age, les Maçons dits «  acceptés », c’est-à-dire les non professionnels, se font de plus en plus nombreux dans les loges que les véritables constructeurs ne reconnaissent plus au final comme leurs.

De là, dit-on, proviendrait la fracture des opératifs manuels donnant naissance au Compagnonnage avec les spéculatifs, intellectuels de tous bords revendiquant au sein d’une Franc Maçonnerie modernisée leur contribution à la construction de l’Homme.

 

Sur la dépouille de Gustave Grégoire

 

Gustave GregoireC’est autour de cette ligne de partage, voire de fracture, que nous retrouverons à Tergnier, à la sortie de la première guerre mondiale, les protagonistes de notre voyage dans le temps sur les traces de Raoul Dautry.

Nous sommes en mars 1922 et Tergnier mène à sa dernière demeure son ancien maire Gustave Grégoire dont le corps vient d’être rapatrié des Balkans où il est tombé le 17 mars 1917 sur le front de Macédoine.

Léon Lhérondelle, conseiller d’arrondissement et maire de Fargniers, loue le maire visionnaire, fondateur à Tergnier même de la loge Proudhon sur la dépouille duquel s’incline au nom de la Grande Loge de France M. Pavaillon.

« On a dit que nos loges étaient des lieux de réunion des Jésuites rouges » clame le député chaunois Accambray. «  Ceux qui le prétendent ne disent pas la vérité ou s’abusent, ceux qui le répètent se trompent. »

La discipline des Francs-Maçons, poursuit-il, «  est librement consentie ; elle est raisonneuse parce que la Maçonnerie a à sa base l’amour et l’exaltation du travail sous toutes ses formes, et que penser et raisonner sont une forme de travail » clame t-il.

Considérant cet hymne au travail par lequel l’orateur, franc-maçon déclaré, semble balayer la ligne de fracture des Opératifs et des Spéculatifs, une question se pose : se peut-il que les protagonistes de la reconstruction de Tergnier se soient retrouvés dans la poursuite de leur objectif commun par-delà la frontière qui sépare depuis la Renaissance le Compagnonnage et la Franc-Maçonnerie ? Il semble bien, là, que nous approchions notre but.

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25 avril 2012 3 25 /04 /avril /2012 09:26

L’avènement du Christianisme aux dépens de l’antique paganisme ne se résume pas, tel que nous le précisions dans notre précédent billet, à la victoire ferme et définitive d’un Dieu fédérateur sur une multitude de divinités éparses.

La réalité est autrement plus subtile.

C’est bien une seule et même puissance créatrice supérieure « régulatrice du Cosmos » dont les cultures traditionnelles célèbrent la manifestation en toute chose, depuis le soleil qui renaît chaque matin jusqu’au cycle des saisons en passant par celui de la fécondation. Et c’est bien un Dieu incarnant à lui seul toutes les manifestations d’une puissance créatrice supérieure que le Christianisme romain «  officiel » tend à célébrer.

La nuance est dans l’effacement du caractère sacré des manifestations de la « puissance créatrice » au profit de celui de son incarnation dans la parole d’un prophète. Une nouvelle codification de nature conjoncturelle en quelque sorte des rapports de l’humain au divin.

Si rupture il y a dans ce glissement du caractère sacré, elle s'opère bien plus dans le champ cultuel que dans le champ culturel puisqu'elle n'affecte pas le concept même de puissance créatrice et par là la perception humaine du cosmos.

Par-delà le bouleversement historique majeur provoqué par le Christianisme, on constate dans ce contexte la permanence des codes et usages prêtés aux bâtisseurs, alors aux portes d’un nouvel âge d’or.

« Alors que le paganisme politique s’écroulait, la substance initiatique de l’ancien monde trouvait naturellement refuge dans les collèges d’Artisans » écrit à ce propos Christian Jacq.

 

Le temps des monastères

 

mont-cassin2Momentanément au moins, pour rester dans le droit fil de la deuxième question de l’égyptologue, les confréries de bâtisseurs se recentrent sur leurs fonctions originelles de constructeurs d’édifices au service d’une spiritualité qui, au grès des vicissitudes de la politique, trouve à s’exprimer diversement avec toutes les nuances imprimées par les enjeux de l’administration temporelle.

On comprendra dans ces conditions que bien des années se soient écoulées avant qu’elles accèdent de nouveau à la sérénité que leur avaient procurée l’Egypte ancienne et la Grèce antique.

Sur les terres du christianisme romain, c’est le pape Boniface IV qui la leur rend en leur concédant l’affranchissement.

Nous sommes en 614, trois siècles après la création en 315 par Pacôme, un moine égyptien, de la première communauté monacale.

Son principe fondateur a tout pour plaire aux communautés d’artisans appelés à la construction des abbayes et monastères à venir : les hommes qui croient en Dieu doivent apprendre à vivre ensemble au service de l’esprit.

La règle communautaire, écrit Christian Jacq, «  c’est avant tout l’humilité qui permet à chacun de recevoir un enseignement de l’autre et de lui en donner un à son tour. »

C’est d’abord la fondation par Saint-Martin en 372 de l’abbaye de Marmoutier, dans l’actuel Bas-Rhin.

Ce sera aussi celle, en 529 en Italie sur un ancien lieu de culte mithraique, du monastère du Mont Cassin  (photo ci-dessus) qui marque la naissance de l’ordre des Bénédictins. Mais auparavant, les communautés, qu’elles soient monacales où «  corporatives », auront à s’adapter à une autre convulsion de l’Histoire : les grandes invasions qui marquent durant le Ve siècle la décadence et au final la chute de l’empire romain d’occident.

Les commandes de grands chantiers sont les premières à souffrir de ce climat d’insécurité dans lequel nombre de bâtisseurs trouvent refuge au sein de l’empire romain d’orient à Byzance. Ils en ramèneront les influences caractéristiques de l’architecture des édifices construits en France durant les deux siècles suivants.

D’autres trouvent refuge en Irlande où les moines chrétiens exilés se rapprochent le plus naturellement du monde des Maçons couldéens successeurs des bâtisseurs romains.

Officiellement d’obédience chrétienne, ces Couldéens n’en demeurent pas moins profondément imprégnés de l’héritage celtique dont témoigne le mythique personnage du Maître d’œuvre Merlin l’enchanteur.

Dans la tourmente on le voit, les communautés monacales et de bâtisseurs s’ouvrent à de nouveaux horizons dans lesquels elles se rejoignent pour faire du haut Moyen Age l’âge d’or de la franc-Maçonnerie dite opérative.

C’est l’affranchissement des maçons, on l’a vu, par Boniface IV au VIIe siècle mais c’est aussi, au VIIIe siècle avec la « bénédiction »   de Charles Martel, l’émergence de l’abbé laïc, supérieur de monastère dont la seule reconnaissance de la fonction, hors du parcours ecclésiastique classique, témoigne d’une évolution sensible des rapports du religieux au communautaire et réciproquement.

 

De Charlemagne à Raoul Dautry

 

charlemagne 040Cette évolution atteindra son apogée avec le couronnement à l’aube du IXe siècle de Charlemagne qui, selon Christian Jacq, «  porte en lui l’idée d’un empire grandiose où l’art, la politique et la religion ne seront pas dissociés. »

Il s’appuiera en cela sur les monastère dont il attend «  des éducateurs, des architectes et des administrateurs. »

Pourquoi les monastères ? Parce que dès lors qu’elles s’installent dans leurs murs, les communautés monacales, dans l’attente de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg vers 1440, deviennent aussi des communautés de copistes qui sont le moteur de la diffusion des connaissances (on pourra lire à ce sujet l’excellent Roman de la rose d’Umberto Eco.)

A l’image des prospères abbayes bénédictines qui sont pour les communautés d’artisans de véritables havres de paix, ces «  microsociétés » monacales abritent jalousement en leur sein une énorme masse de textes anciens relatifs à l’astrologie, à la médecine ou encore à l’architecture, dont se nourrissent les Maîtres d’œuvre.

De cette promiscuité des communautés monacales et d’artisans naît à l’aube du Xe siècle la première grande école de tailleurs de pierres du Mont Saint-Michel mais aussi l’abbaye de Cluny dont le symbolisme hérité de l’enseignement pythagoricien témoigne du caractère mutuel de l’ouverture spirituelle des religieux et des bâtisseurs.

S’ouvre alors l’âge d’or des cathédrales qui est aussi celui des confréries de métiers pour lesquelles le travail revêt un caractère sacré. La main selon elles, concrétise l’esprit par l’intermédiaire de l’outil.

Véritables catéchèses monumentales, les cathédrales créent l’image du monde tel que le rêve ce haut moyen âge dont Raoul Dautry se référera souvent à l’esprit pour esquisser le portrait de sa société modèle.

« Au travail les moyens de vivre ; à l’esprit les raisons de vivre ! » martelait-il.

Rappelons à ce sujet ce qu’il clamait en mars 1934 devant la société industrielle de Rouen, des relations de l’Homme et du travail, du travail et de la production et, au final, de l’impérieuse nécessité qu’il ressentait de veiller à une harmonieuse complémentarité de ces différents facteurs économiques. Cette harmonie ne pouvait être assurée selon lui que par une gestion rigoureuse de l’adaptation de chacun des facteurs aux besoins des autres.

« N’est-ce pas à vrai dire une solution retrouvée, rejoignant les principes qu’avait conçus le Moyen Age pour donner aux hommes les moyens de subsister, tout en fixant ailleurs que dans la production et la consommation leur idéal de vie ? » interrogeait-il.

Et d’évoquer la «  limitation du nombre de maîtres artisans et de leurs apprentis », la «  fréquente interdiction d’exporter de province à province, de travailler le soir aux lumières, et tant d’autres mesures rigoureuses qui nous faisaient naguère sourire et que nous ne pouvions réellement pas comprendre, il y a quarante ans (NDR : à la fin du XIXe siècle), quand deux ou trois nations européennes, dans l’euphorie de leur jeunesse industrielle, avaient pour débouchés les neuf dixièmes des terres habitées. Ces mesures, ces peut-être aujourd’hui seulement (NDR : en pleine crise des années trente) que nous pouvons en concevoir la valeur et le sens profondément humain. »

On savait du père de la Cité modèle de Tergnier qu’il nourrissait un intérêt particulier pour les cathédrales et leurs bâtisseurs ; on découvre qu’il se fondait également volontiers dans l’esprit de cet âge d’or.

Au passage, on mesure aussi à quel point la place des communautés de bâtisseurs dans leur époque, telle que l’interroge Christian Jacq dans son ouvrage consacré à la Franc-Maçonnerie, n’a pas suivi un long fleuve tranquille depuis l’Egypte antique jusque cet âge d’or. Or cet âge précisément, porte en lui, les germes de son propre déclin et le ferment des évolutions à venir au sein des communautés de bâtisseurs telles que les côtoiera Raoul Dautry.

C’est cette étape cruciale de notre voyage sur ses traces que nous franchirons dans notre prochain billet.

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18 avril 2012 3 18 /04 /avril /2012 13:37

pythagore.gif

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un millénaire avant les " mystères d'Eleusis" déjà, Pythagore prônait la conformité de l'ordre social à l'ordre cosmique.

 

 

 

Oui, l’initiation, sous différentes formes, a traversé les époques et les civilisations depuis les temps les plus reculés jusque Raoul Dautry, affirmions-nous au terme de notre précédente étape.

En cela, nous transposions sans difficulté à l’Histoire la réponse à la première des questions posées par Christian Jacq à propos de la civilisation égyptienne.

La même transposition de la réponse à la deuxième de ses questions en revanche, pose une difficulté particulière qui, à bien y regarder, nous éclairera peut-être sur la nature de la frontière ténue à laquelle nous nous sommes souvent heurtés dans nos investigations entre le Compagnonnage et la Franc-Maçonnerie.

« Quelle place ont occupé les confréries de bâtisseurs ? » interrogeait Christian Jacq à propos de l’Egypte ancienne dans sa quête des origines de la Franc-Maçonnerie.

Entre la première et la deuxième question, l’égyptologue romancier tire de fait entre initiation et bâtisseurs un lien direct par lequel il nous renvoie aux origines des confréries or la construction des communautés humaines a pris par la suite bien d’autres voies que celle des constructions de pierre.

De toute évidence, il nous faut nous pencher sur l’évolution même du concept de bâtisseur pour tenter de répondre à la deuxième question.

L’exemple des « mystères d’Eleusis » lui-même donne à penser que, l’ère des premières grandes constructions passée, l’initiation n’eut plus guère d’autre terrain d’expression que celui de la construction sociale.

Un millénaire plus tôt déjà, Pythagore avait ouvert cette perspective en prônant la conformité de l’ordre social à l’ordre cosmique.

L’ordre social n’étant rien d’autre que l’ordre institué dans la ville, elle-même érigée en conformité avec l’ordre cosmique rappelons-le, la position de Pythagore apparaît bien plus dès lors comme une extension logique du champ d’application de l’initiation que comme une transposition à un nouveau champ de substitution.

Reste que dans tous les cas de figure, les nobles desseins du mathématicien se sont trouvés cruellement contrariés par la terrible vague d’épuration qui frappa ses disciples, justement parce que cette perception de la construction sociale mettait en péril la légitimité des pouvoirs en place.

De cet épisode, on retiendra un enseignement majeur : l’évolution du concept même de bâtisseur est aussi étroitement liée à la nature du «  bâti » qu’aux réactions suscitées.

On ne s’étonnera pas dans ces conditions que les initiés ne puissent vivre en harmonie avec leur époque qu’aussi longtemps que le caractère opératif de leur initiation opère ailleurs que dans le champ de la politique. Sauf à la servir, ce qu’il adviendra sous l’influence de l’une des principales voies du Christianisme qui, en soi, constitue déjà une vraie révolution spirituelle.

Jesus.jpg« Pour la première fois, un chef spirituel offre la Connaissance à tous sans imposer le passage par un rituel initiatique » note Christian Jacq.

Dans les faits, les choses ne paraissent pas tout à fait aussi simples – ce dont convient l’égyptologue – puisque, considéré sous l’une ou l’autre de ses différentes formes, le Christianisme fait lui aussi appel à des rituels qui lui sont propres.

Il est incontestable en revanche que le passage d’une initiation vécue dans le secret du rituel à une initiation enseignée bouleverse la donne. Pour la première fois en effet, la médiation entre l’initié et l’initiation ne relève plus de la cohérence d’un rituel imperméable aux aspirations du moment mais de l’intervention, voire de l’interprétation, d’un tiers. Il en faudra un peu plus pour que l’initiation chrétienne soit délibérément instrumentalisée par des humains mais la voie est ouverte.

Christian Jacq y relève trois dates qui ont valeur de repères historiques.

D’abord celle de la signature par l’empereur Constantin de l’édit de Milan instituant en 313 de notre ère la liberté de culte ; dans les faits : la reconnaissance du Christianisme qui devient officiellement l’allié de l’Etat et commence à goûter à ce titre les joies de l’opulence.

Ensuite celle de l’avènement de l’empereur Julien, le propre neveu de Constantin, qui marque en 351 un net reflux du Christianisme au profit de l’initiation traditionnelle qu’il juge plus riche. Lui-même sera d’ailleurs initié au culte de Mithra vers 358 avant de périr cinq ans plus tard dans un affrontement contre les Perses qui sert assez bien au final la cause du Christianisme en difficulté.

La date enfin de l’exécution pour hérésie de l’évêque philosophe Priscillien, initiateur en 375 d’un recentrage sur le Christianisme originel délesté des fastes et des ambitions de la politique.

Il eut tout aussi bien pu y ajouter celle de la guerre délibérément déclarée aux cultes païens et par là, à celui de Mithra en particulier, à Rome à la fin du IVe siècle.

Il eut pu encore y ajouter l’exécution en 524 du philosophe Boèce victime d’un complot et dont on retiendra que «  la vraie noblesse est conférée par les ancêtres initiés. »

Nombreux sont les épisodes qui jalonnent la chute du Paganisme, nom donné, selon le Petit Larousse, par les Chrétiens des premiers siècles au polythéisme auquel les populations paysannes demeurèrent longtemps attachées.

Nous assistons en somme au déclin du culte de plusieurs divinités au profit du culte d’un Dieu unique et fédérateur. Du moins s’agit-il là de la synthèse dualiste de l’Histoire sommairement dégrossie qui sera transmise à des générations d’écoliers or la réalité, nous le verrons dans notre prochain billet, est autrement plus subtile.

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7 février 2012 2 07 /02 /février /2012 11:04

 

Suivre le cheminement jusque Raoul Dautry de la sacralisation de l’action par l’initiation de l’acteur revient à en identifier l’origine pour en suivre la progression à travers les époques et les civilisations.

Encore faut-il s’entendre sur le terme même d’origine car - nous le découvrions dans un précédent billet à travers les propos d’Alain Pozarnick – les sépultures néandertaliennes présentent déjà 20 000 ans avant notre ère pour les plus récentes, des traces tangibles de rituel.

Quant à l’égyptologue Christian Jacq qui s’appuie sur les récents progrès de l’égyptologie pour «  reprendre » et « compléter » le dossier ouvert par les contemporains de Mozart sur «  les origines égyptiennes de la Franc-Maçonnerie », il parle volontiers de «  premier apogée de l’époque dite opérative » mais se garde bien d’affirmer que tout a commencé avec l’Egypte ancienne si tri millénaire soit-elle.

Tout juste fait-il appel, rappelons-le, à un questionnement objectif pour en déduire que l’Egypte fut bien, dans une époque très reculée, le berceau d’un Ordre initiatique.

« Existait-il des initiations en Egypte ? » « Quelle place occupaient les constructeurs dans sa civilisation ? » « Connaît-on avec précision une confrérie de bâtisseurs ? » interroge t-il selon un schéma qui confine à la méthodologie.

Or la méthodologie ayant par définition une portée générale, celle-ci nous permet en toute logique d’envisager notre traversée de l’Histoire selon trois axes d’investigation.

 

De part et d'autres de la Méditerranée

 

Dans un premier temps pour le moins, la transposition sur un plan historique plus général de la première question posée par Christian Jacq à propos de l’existence d’initiation la civilisation égyptienne nous conduit à ne pas écarter de nos recherches des civilisations plus anciennes encore que celle de l’Egypte ancienne.

Revenons en effet aux propos d’Alain Pozarnick. Les Néandertaliens, nous dit-il, «  étaient les premiers à enterrer leurs morts dans des espèces de ventres de la Terre ; des tumulus. Ils mettaient leurs morts en position fœtale orientés vers la sortie du tumulus, comme s’il allait renaître quelque chose ; ou comme si quelque chose d’eux-mêmes allait renaître et poursuivre leur vie. »

Il semble bien que l’Homme de Neandertal témoigne déjà, donc, d’une volonté de ne pas rompre, par delà-la mort, le lien qui l’unit à l’ordre naturel des choses. Or nous l’avons vu à propos du rituel de construction des villes romaines, c’est de cet ordre naturel des choses - l’ordre cosmique qui englobe l’univers dans sa totalité depuis le visible jusque l’invisible- que les contemporains de Romus et Romulus attendaient un signe approbateur avant d’ouvrir le chantier.

l-histoire-decembre-11-etrusquesEux-mêmes, dit-on, se seraient largement inspirés dans l’édification de Rome de l’art, de la culture et du rituel des Etrusques, un peuple à l’origine controversée qui prospère au VIIIe siècle avant notre ère sur la côte méditerranéenne de l’Italie, en Toscane.

Cette prospérité étrusque – cela n’aura échappé à personne –coïncide avec le déclin de l’ancienne Egypte pharaonique dont l’art, essentiellement funéraire, célèbre le passage de l’individu à l’éternité, dans l’immuable ordre cosmique là encore.

C’est ce culte de l’ordre cosmique scellant l’humilité du genre humain devant l’univers que Christian Jacq suit à travers les civilisations dans sa quête des «  origines » de la Franc-Maçonnerie.

Les textes de l’Egypte ancienne décryptés grâce aux progrès de l’égyptologie, explique t-il, «  répétaient inlassablement qu’il nous faut échapper à la seconde ort ; celle de l’âme. »

C’est là l’enjeu des «  mystères » célébrés dans le «  secret des temples » selon un rituel qui, à bien des égards souligne t-il, présente des similitudes avec celui de l’initiation maçonnique.

Christian Jacq est formel : de nombreux documents attestent de la pratique de l’initiation dans l’Egypte ancienne. Il en cite pour exemple significatif une stèle du British Muséum décrivant la nuit de méditation d’un homme sur le parvis du temple des Deux Lions avant son admission aux épreuves. Exemple dont il souligne la similitude avec l’épreuve du cabinet de réflexion dans laquelle le candidat à la Franc-Maçonnerie est préalablement invité à méditer sur sa condition de mortel.

 

Le prototype pythagoricien

 

Cette célébration des «  mystères », Christian Jacq en relève également une trace postérieure à l’Egypte antique dans la civilisation grecque.

Il évoque notamment Eleusis, une cité de plus de 20 000 habitants où l’on célébrait, à quelques kilomètres au Nord-Ouest d’Athènes, le culte de Démeter, déesse de la fertilité incarnant la Terre nourricière.

Imperméable au christianisme naissant, cette cité aurait initié les plus illustres penseurs et savant grecs jusqu’au Ve siècle après Jésus-Christ marqué, pour ce qui la concerne, par la fermeture de ses «  écoles de mystères » et par l’éparpillement de ses initiés dans l’actuelle Europe occidentale.

Là encore, il relève des similitudes marquantes entre le rituel des cérémonies d’Eleusis et l’actuel rituel maçonnique : purification par les quatre éléments ( l’eau, la terre, l’air et le feu), méditation préalable à l’initiation…

Pythagore1S’il fallait citer une trace plus tangible encore de la continuité spirituelle qui s’opère entre l’Egypte ancienne et la civilisation grecque, ce serait néanmoins sans la moindre hésitation celle laissée par Pythagore (ci-contre)  dont l’enseignement de la géométrie et la science des nombres permettra plus tard aux confréries de bâtisseurs d’ériger les plus splendides édifices du Moyen-Age.

Prototype, selon Christian Jacq, de «  l’homme complet capable d’harmoniser le physique et le spirituel », Pythagore en effet, fut lui-même initié au VI e siècle avant notre ère dans les temples égyptiens où il étudia la géométrie et l’astronomie.

A ses disciples, il aurait appris «  la contemplation des rythmes de l’univers » et leur aurait demandé «  de parler un langage aussi pur que le chant du cosmos. »

On retrouve là encore la référence absolue à l’univers et au cosmos.

On trouve aussi chez lui l’empreinte d’une forme d’humilité du genre humain. Pythagore en effet, bien que personnage très influent de son époque, n’est représenté dans aucun temple et pour cause : il aurait purement et simplement interdit toute référence nominative à son enseignement. « Lorsque l’on se référait à ses paroles, on disait : il a dit » note Christian Jacq qui y voit une similitude avec la conception maçonnique du Maître caché selon laquelle l’initiation englobe les réalités à la fois visibles et invisibles. Il se réfère en cela au mythe du « Supérieur inconnu » qu’il développe dans son œuvre en quatre tomes consacrée à Mozart.

Quoi qu’il en soit, le prolongement de la spiritualité de l’Egypte ancienne dans la Grèce antique s’avère durable puisqu’entre Pythagore et la fin des «  mystères d’Eleusis » s’écoule un millénaire. Qui plus est un millénaire marqué par la naissance du Christianisme qui va durablement et profondément interférer sur la conception même de l’initiation.

Christian Jacq le rappelle à point nommé : le Christianisme en question ne s’est pas brutalement imposé en Occident du jour au lendemain.

Il est apparu et s’est épanoui dans un contexte historique simultanément marqué par la diversité des approches initiatiques et par leur coexistence.

 

Au confluent des courants initiatiques

 

Trois courants en particulier retiennent l’attention de l’égyptologue pour avoir nourri à divers degrés selon lui la Franc-Maçonnerie: celui des Esseniens, celui des Gnostiques et enfin celui des Thérapeutes.

Alors que les Esseniens affirmaient «  détenir le sens ésotérique de la Bible » dont le symbolisme alimentait leur approche de l’initiation, les Gnostiques se nourrissaient, eux, d’éléments puisés dans les registres égyptiens, grecs, babyloniens, juifs ou encore chrétiens. Une sorte de synthèse de la multiplicité des approches en quelque sorte.

Quant aux Thérapeutes, Christian Jacq en retient d’emblée la similitude de l’approche spirituelle avec celle prônée dix-huit siècles plus tard par le Chevalier de Ramsay exaltant les vertus des banquets où l’on cause de tout ce qui est susceptible «  d’éclairer l’esprit », de «  régler le cœur » et «  d’inspirer le goût du vrai, du bon et du beau » ; formule que nous retrouverons un peu plus loin au mot près dans la bouche de Raoul Dautry.

Contemporaines du Christ, ces trois communautés évoluent elles-mêmes dans un environnement spirituel ouvert dont témoigne la relative tolérance initiale de l’empire romain vis-à-vis des cultures antiques.

« Rome accueillit en son sein des tendances initiatiques qu’elle toléra à condition que les confréries se limitent à leurs travaux ésotériques et ne s’adonnent pas à la politique » précise Christian Jacq.

Tout est dit. On voit là se dessiner progressivement le sort des confréries de bâtisseurs.

Dans cette posture de tolérance encadrée par la politique, Rome pour autant, ne se déleste pas des préoccupations de l’esprit.

MithraAu confluent des grands courants initiatiques des civilisations antiques, elle creuse elle-même en Europe, un siècle avant Jésus-Christ, le lit du Mithraisme.

Ancien dieu iranien de la lumière, Mithra (représenté ci-contre sous la forme du soleil) doit essentiellement le développement de son culte dans toute la partie occidentale de l’Europe à la progression des légions romaines qui, semble t-il, le célébraient avec ardeur.

Des temples qui lui sont dédiés, Christian Jacq retient la similitude avec l’organisation spatiale des temples maçonniques. « Dans tous les cas, ils symbolisaient le cosmos » note t-il.

Il relève encore d’autres similitudes rituelles et structurelles : aménagement à l’intention du postulant, d’une salle d’attente évocatrice du cabinet de réflexion ; rémanence du nombre 7, « celui du Maître maçon »

« Lorsqu’un profane demandait son admission parmi les adeptes de Mithra, une subissait une longue pré-initiation où il recevait un premier enseignement portant principalement sur l’astrologie, les rapports de l’homme avec l’univers et les premiers rudiments de la langue des mystères » précise t-il.

Assurément, nous sommes toujours dans la même veine spirituelle.

 

Le métier source d'harmonie

 vitruve

Indépendamment du Mithraisme, l’égyptologue évoque d’autres traces encore de spiritualité dans la civilisation romaine. Celle laissée un siècle avant notre ère en particulier par l’architecte Vitruve ( dont on connait surtout l'universel Homme de Vitruve ci-contre) selon lequel «  l’esprit sans le travail ni le travail sans l’esprit ne rendirent jamais aucun ouvrier parfait. »

Bien avant Vitruve encore, il y a la trace laissée par le Grand Pontif Numa auquel on attribue la fondation, sept siècles avant Jésus-Christ, des corporations des charpentiers, des forgerons, des tanneurs et des musiciens, selon des règles sacrées qui confinent à la divinisation de l’homme par le métier.

Or c’est bien cette dimension sacrée du métier que nous retrouvons chez Jean-Pierre Bayard dans L’esprit du compagnonnage lorsque, à propos de la maîtrise du geste, il affirme qu’elle «  conduit à une discipline intérieure, donc à une prise de conscience » par laquelle chacun des hommes qui utilisent les mêmes outils « s’incorpore dans une vaste chaîne de la pensée. »

Et c’est dans cette source d’harmonie abreuvant le travail que Raoul Dautry trace le sillon des valeurs les plus sacrées à ses yeux lorsqu’il s’adresse le 7 janvier 1934 à la société industrielle de Saint-Quentin.

« Patrons et ouvriers », lance t-il à son auditoire, «  dites-vous chaque jour que, quoi que l’avenir réserve, chacun doit s’appliquer à son métier et à ses devoirs. C’est dans les conditions qui lui sont offertes que l’homme, en un point donné de l’histoire du monde, doit vivre. Sa noblesse est d’en réussir une ordonnance telle que son développement moral y puisse être assuré pour le beau et pour le bien. »

Cette brusque traversée de l’Histoire nous permet au passage de vérifier que nous sommes toujours bien au cœur de notre sujet. Elle nous permet aussi d’élargir au cours de l’Histoire la réponse à la première des questions posées par Christian Jacq à propos de la civilisation égyptienne : oui, l’initiation, sous différentes formes, a traversé les époques et les civilisations.

Quant à savoir quelles places ont occupé les confréries de bâtisseurs au fil de cette évolution, nous verrons dans notre prochain billet qu’elles furent largement dictées par les suites de la révolution spirituelle du Christianisme.

 

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9 janvier 2012 1 09 /01 /janvier /2012 07:08

Livre-Franc-Maconnerie.gifComment identifier avec certitude dans le fil de l’Histoire les traces d’un Ordre de bâtisseurs dont la dénomination formelle, telle qu’elle nous est parvenue, n’intervient qu’à l’aube du XVIIIe siècle ?

Christian Jacq dans La Franc-Maçonnerie retient trois critères caractéristiques des racines du Compagnonnage : dans une civilisation donnée, existe t-il des initiations ? Dans l’affirmative, quelle y est la place des constructeurs ? Et enfin, peut-on formellement identifier dans cette civilisation une confrérie initiatique de bâtisseurs ? Trois questions qui ne sauraient trouver de réponse hors de la définition préalable de l’initiation.

Lui, la définit dans l’introduction de son ouvrage comme étant «  l’étude des mystères de la vie » par laquelle l’Ordre – celui des anciens bâtisseurs en l’occurrence – «  propose à l’homme des moyens d’évolution spirituelle. »

De fait, c’est bien ainsi que Jean-Pierre Bayard décrivait l’esprit du compagnonnage, attestant au passage de la primauté de la transmission du métier que nous évoquions par ailleurs dans notre précédent billet à propos de l’action de Jean Bernard en faveur de la fédération des sociétés compagnonniques.

Le travailleur, précise Jean-Pierre Bayard, «  est formé au contact de ses pairs tant dans l’exercice de son métier que dans sa projection morale et intellectuelle ; il participe et vit une expérience à la fois personnelle et collective. »

Là intervient l’initiation qui, dans les sociétés antiques explique t-il, forme les hommes «  moralement et intellectuellement » en les associant à «  des rites particuliers dérivant de la gestuelle du métier. »

Sont incorporées à ces rites des sciences telles que «  la géométrie, la connaissance des nombres, les valeurs sacrées, les relations cosmiques » précise t-il encore.

 

Aux sources de la communication

 

Ces pratiques peuvent paraître rétrospectivement bien étranges à l’Homme du XXIe siècle qui les dissociera des réalités de leur contexte. D’une part, tous les individus ne maîtrisent pas, dans les sociétés antiques, l’art de l’écriture qui garantit une transmission pérenne de la parole. D’autre part, tous les individus n’y maîtrisent pas non plus le même langage d’une région à l’autre du globe mais aussi d’une contrée à l’autre voire d’une communauté à l’autre.

Le symbolisme du rituel apparaît dès lors comme une forme parmi d’autres de codage du langage permettant d’accéder à la fois à la raison et à l’émotion des individus par-delà leur diversité ; une sorte de répertoire iconique qui ne doit rien au religieux dans la mesure où l’icône s’affirme là comme un simple outil de représentation mentale qui transcende les barrières du langage.

Pratique désuète d’une époque révolue ? Ce serait oublier que l’Homme reste humain quelle que soit son époque. Le code de la route ne constitue t-il pas l’exemple le plus évident de la permanence dans le temps des outils visuels de représentation mentale ?

Quant à savoir si la gestuelle, fût-elle «  de métier », peut en soi se substituer à la parole, il suffit de demander au premier passant venu la définition d’un escalier hélicoïdal. Invariablement, il répondra d’un tournoiement de l’index qu’il élèvera dans un léger mouvement ascendant du bras. Un geste qui synthétise parfaitement la définition littérale qu’en donne le Petit Larousse.

Reste que ce détour par les fondamentaux de la communication ne nous dit pas pourquoi certains travailleurs, et ceux-là seulement, se sont transmis de génération en génération les secrets jalousement gardés de leurs métiers respectifs.

Jean-Pierre Bayard évoque pour sa part une «  chevalerie ouvrière qui entend lier le geste à l’esprit, l’action à la réflexion. »

Il parle encore de fermeté et d’équité «  dans une démarche qui glorifie le travail » ; une glorification du travail dont il situe l’essence dans l’évolution même du genre humain tant il est vrai que l’Homme n’a pas toujours éprouvé le besoin d’ériger des monuments et édifices qui transpercent le ciel et défient le temps.

« L’homme, en devenant sédentaire, vit en société ; il doit s’abriter dans des habitations simples et pratiques, édifier des demeures plus spacieuses pour ses chefs, puis des temples fort riches pour abriter la divinité qu’il implore » explique t-il.

 

L'effet papillon avant l'heure

 

L’homme en somme, ne bâtit des temples que lorsqu’il se soustrait à l’ordre naturel des choses qui le conduisait à suivre le gibier pour se nourrir et à fuir les rigueurs du climat et des saisons pour se protéger. Un constat qui nous renvoie au très ancien rituel de fondation des villes sur lequel nous nous sommes penchés par le passé.

Nous y découvrions que la fondation d’une ville consistait pour nos ancêtres qui aspiraient à la sédentarité,  à aménager à leur avantage un espace vierge emprunté à l’univers dans toute sa grandeur, dans toute sa force et avec tous ses mystères ; à transformer en quelque sorte, un fragment de cosmos avec toutes les précautions et le respect qu'ils estimaient devoir lui témoigner.

Nous parlions alors de transposition à taille humaine d’un monde céleste dont les premiers constructeurs s’assuraient au préalable par la consultation des auspices qu’ils ne contrariaient pas la bonne marche au risque d’en subir les foudres.

Cette profonde marque d’humilité devant l’ordre naturel et universel des choses semble attester d’une très ancienne perception de «  l’effet papillon » selon lequel toute manifestation de vie impacte le cours même de la Vie.

Elle semble aussi et surtout attester d’une conception sacrificielle de l’acte d’arracher à l’ordre naturel des choses un espace vierge voué à la colonisation humaine et en retour, de la perception par nos ancêtres du caractère sacré de l’acte de bâtir. Au passage, on notera d’ailleurs les racines latines communes du qualificatif sacré (sacer) et du mot sacrifice ( sacrificium, dérivé de sacer facere.)

 

Economie de l'action 

 

Le message des constructeurs de cathédralesOn comprend mieux dans ces conditions pourquoi la maîtrise du geste fut et reste, au fil du temps et des époques, au cœur des préoccupations des confréries de bâtisseurs.

Christian Jacq dans Le message des constructeurs de cathédrales, décrit dans le détail la procession funèbre qui stoppe le chantier lorsqu’un artisan, par son inattention, gâche une sculpture en voie d’achèvement.

L’outil, écrit Jean-Pierre Bayard dans L’esprit du Compagnonnage, n’est que « le prolongement de la main qu’on éduque pour une action précise. Un geste désordonné, fait sans profonde intention, est inefficace ; le geste du compagnon est celui de la rigueur, de la sobriété, un geste pur, conscient de sa force et de sa maîtrise. »

La description nous rapproche singulièrement de Raoul Dautry qui, non content de se référer lui-même à «  la sagesse » d’une époque (*) dans laquelle Christian Jacq situe l’âge d’or des confréries de bâtisseurs, livre également à ses contemporains ses propres réflexions relatives à la maîtrise de l’action humaine.

Lors d’une conférence donnée à la Sorbonne en février 1935, il plaide la cause d’une « économie économe. »

« En toute chose, produire pour produire est inutile » clame t-il. « Le fabricant de cocottes en papier qui en mettrait sur le marché 100 millions par jour au plus bas prix de revient ne serait pas un grand industriel mais un sot. Il ne faut ni produire ce que l’on ne peut consommer, ni travailler pour travailler – j’entends du point de vue matériel. Ce qu’il faut, c’est travailler dans la mesure qui correspond à la réalisation du but matériel de l’homme, qui est son affranchissement des servitudes que lui impose la nature, affranchissement qui lui permet de développer sa personne… »

Profonde intention du travailleur, rigueur, sobriété et efficacité de l’action… Nous voilà bien là à la fois dans la logique de la maîtrise du geste défendue par Jean-Pierre Bayard et dans les préoccupations des premiers sédentaires ; une logique que Raoul Dautry résume en 1935 en une phrase qui à elle seule résume l’esprit des confréries de bâtisseurs : « Le maximum de bien être pour la collectivité est obtenu par la production des objets parfaits, dans le minimum de temps et avec le minimum d’efforts. »

C’est le cheminement jusque Raoul Dautry de cette sacralisation de l’action à travers l’initiation de l’acteur que nous nous efforcerons dans notre prochain billet de suivre à travers les époques.

 

 

 

(*) Lors d’une allocution prononcée devant la Société industrielle de Rouen en mars 1934, Raoul Dautry se réfère aux « principes qu’avait conçus le Moyen Age pour donner aux hommes les moyens de subsister tout en fixant ailleurs que dans la production ou la consommation leur idéal de vie. »

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18 décembre 2011 7 18 /12 /décembre /2011 18:28

Jean Bernard

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Selon Jean Bernard, le Compagnonnage existe depuis aussi longtemps que vivent des travailleurs au caractère épris de liberté.

 

 

 

 

S'il suffisait de consulter quelques ouvrages pour plonger aux sources du Compagnonnage, sans doute aurions-nous bouclé depuis longtemps déjà notre parcours sur les traces de Raoul Dautry.

La réalité est autrement plus subtile. L'empilage des faits historiques et des repaires chronologiques n'apporte à l'exploration de cet ordre qu'une foule d'indices à laquelle seule la perception de l'esprit du Compagnonnage donne un sens.

L'esprit du compagnonnage ?  Tel était précisément l'intitulé de l'un des premiers ouvrages auxquels nous nous sommes référés lorsqu'au début de notre parcours, nous nous sommes penchés sur le symbolisme des outils.

Les propos de Jean-Pierre Bayard relatifs à l'histoire du Compagnonnage y sont néanmoins déconcertants pour qui en entend une identification claire des origines.

« Si le terme de compagnonnage est récent (1719), les communautés corporatives réservées à des hommes de métier sont fort anciennes » annonce t-il.

Des témoignages concrets d'union et de revendication ouvrière de l'Ancienne Égypte conservés au musée du Caire jusqu'aux Vieux Devoirs anglais – plus anciens documents écrits attestant d'une réglementation formelle des métiers - , il en dresse un inventaire non exhaustif qui traverse les époques comme les cultures.

Il y rappelle l'implication des prêtres grecs, puis après eux romains, dans le rituel d'édification des constructions auquel nous consacrions un billet en juillet 2010. Il y évoque aussi les premières Collegia romaines en 715 av. J-C, puis les interdictions de Charlemagne qui semblent spécifiquement viser en 779 – bien après les Grecs et les Romains – une catégorie particulière d'association d'ouvriers : celle des « hommes libres. »

Car dans le paysage des « communautés corporatives réservées aux hommes de métier », Jean-Pierre Bayard qui se réfère en cela au mémoire de licence de Claude Cavin consacré au Compagnonnage ( Genève, 1983), opère une nette distinction entre différentes formes d'associations ouvrières.

 

Nuances d'association

 

La corporation, rappelle t-il, « entre dans le cadre administratif de la commune » alors que les guildes forment essentiellement des sociétés de secours mutuels.

Il cite encore la Hanse, association de villes marchandes caractérisée par ses franchises commerciales, puis la Jurande, office annuel des jurés désignés par les corporations afin de défendre leurs intérêts.

De cette distinction ressort un enseignement majeur qui éclaire notre approche du Compagnonnage : de toutes ces formes d'association, il serait la seule qui ne sollicite pas l'approbation officielle de ses statuts, d'où ses déboires récurrents au fil de l'Histoire avec les autorités détentrices du pouvoir.

En cela, il rejoint très exactement les propos repris par Jean Bernard dans son ouvrage intitulé Le compagnonnage.

Le Compagnonnage existe selon lui depuis aussi longtemps que vivent des travailleurs au caractère épris de liberté.

Il existerait depuis aussi longtemps que des travailleurs érigent en devoir et en honneur le mérite d'appartenir à une compagnie de métier pour leurs seules qualités professionnelles et humaines.

Il existerait selon lui depuis que des travailleurs exercent un métier parce que son essence naturelle, qu'il compare à celle de la famille, est de transmettre pour former des générations, de la chair pour l'une et du métier pour l'autre.

Focalisé sur l'essence, l'esprit et les perspectives d'avenir d'un Ordre qu'il n'aura de cesse de fédérer pour affronter une mutation qu'il espère salutaire, Jean Bernard s'attarde cependant encore moins que Jean Pierre Bayard dans L'esprit du Compagnonnage sur les indices et témoignages de la permanence du Compagnonnage dans le fil de l'Histoire.

 

Une somme d'histoires

 

Paradoxalement, c'est un ouvrage de Christian Jacq consacré non pas au Compagnonnage mais à la Franc Maçonnerie qui restitue en une succession de tableaux cette permanence de l'esprit compagnonnique dans le temps.

Intitulé La Franc Maçonnerie (Editions Robert Laffont 1975, 1988), l'ouvrage offre un curieux parallèle avec L'esprit du Compagnonnage de Jean-Pierre Bayard.

Faisant écho à l'affirmation de ce dernier selon lequel «  le terme de Compagnonnage est récent ( 1719) », Christian Jacq affirme d'emblée que «  la Franc Maçonnerie n'est pas née en 1717, année de création de la Grande loge mère d'Angleterre. »

Autrement dit, l'un est l'autre, outre le fait qu'ils partagent allègrement le même répertoire symbolique,  cumuleraient une longue histoire antérieure à leur acte de naissance.

Des premières confréries de constructeurs de l'Egypte Ancienne au déclin, au XVIe siècle, de la Franc Maçonnerie ancienne en passant par les mystères l'Eleusis et l'Ordre de Pythagore, par la diversité des courants initiatiques contemporains du Christ, par le culte de Mithra et l'Initiation romaine, par la concurrence des antiques sociétés initiatiques et du christianisme primitif, et enfin par l'apogée des sociétés maçonniques du haut moyen âge, il traverse quelques-unes des plus grandes civilisations de l'histoire de l'Humanité pour décrire au final l'émergence d'une nouvelle forme de maçonnerie liée à l'évolution du travail et par là du travailleur.

Peut-être en nous penchant plus en détail dans nos prochains billets sur cette traversée des civilisations comprendrons-nous mieux pourquoi depuis le début de notre parcours sur les traces de Raoul Dautry se télescopent sans cesse les références compagnonniques et maçonniques.

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27 novembre 2011 7 27 /11 /novembre /2011 13:24

CheminotsReprenons ici notre voyage dans le temps sur les traces de Raoul Dautry.

Si un long moment s’est écoulé depuis notre dernier billet d’août dernier consacré au témoignage de Roger Guillard, c’est que nous suivons réellement notre parcours en direct et «  sans filet.» Il peut arriver dans ces conditions qu’un témoignage, une petite phrase, une allusion, bouleverse le cours de notre marche au point de nous imposer un détour que nous n’avions pas envisagé.

Cette petite phrase perturbatrice mais o’ combien précieuse par ce qu’elle impose d’explorations et de découvertes inattendues, nous la trouvons précisément dans les propos de Roger Guillard parce qu’elle nous renvoie aussi directement qu’explicitement à l’actualité sans passer par les cases «  transposition », «  interprétation » ou encore «  projection » du passé dans l’actualité.

«  Ce qui frappait, c’était la couleur, l’étendue, l’homogénéité dans la diversité, les tracés géométriques parmi les fleurs et la verdure. Et tous ces gens apparemment de même condition, vivant précisément là, pour un boulot du ressort d’un même patron : «  le Chemin de fer. » Et de prime abord, heureux d’être là ! » se souvient-il.

A la lecture de ces mots, il apparaît clairement que le «  patron » n’est ni la Compagnie des Chemins de fer du Nord, ni Raoul Dautry, ni même le chef de dépôt mandaté par la Direction mais «  le chemin de fer. »

Le propos fait écho à une scène du film Cheminots de Luc Joulé et Sébastien Jousse projeté en février dernier à Saint-Quentin à l’initiative du CER SNCF de la région d’Amiens.

Réalisé sur une commande du comité d’établissement de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, ce film témoignage donne la parole aux Cheminots tant actifs que retraités sur la façon dont ils vivent les évolutions de leur entreprise à l’heure de l’ouverture à la concurrence.

On y voit des salariés dépités se débattre entre les injonctions comptables de la gestion par activités et les usagers en attente d’un service. On y entend le grand résistant Raymond Aubrac rappeler ce que le relèvement de la France occupée par l’Allemagne nazie doit aux chemins de fer et aux Cheminots fédérés en une grande entreprise de service public. On y dresse encore un parallèle entre l’évolution du chemin de fer français et les errements du chemin de fer britannique dénoncés par Ken Loach dans le film The navigators.

On y assiste en cabine de pilotage à une conversation rugueuse entre un fils, conducteur militant acquis aux vertus de la grève, et son père, cadre retraité arque bouté sur la primauté de la continuité du service.

Le fils déplore à mots couverts l’attentisme bienveillant de son père devant les bouleversements en cours ; le père reproche à son fils son activisme qui le cas échéant, contribue à paralyser le service.

Près d’une heure et demi au total de témoignages, d’images, de tranches de vie dont il ressort au final que les Cheminots ne vivent rien de très différent de ce que vivent les salariés de nombreux autres secteurs de l’économie, mais qu’eux en revanche, le vivent plus mal ; comme si l’évolution de leur entreprise, en bouleversant leur travail, bouleversait également leurs valeurs, leurs codes et par là leurs vies.

Lorsque l’animateur de la soirée invite la salle à exprimer ses réactions, un militant CGT ne manque pas de dresser un parallèle avec l’industrie automobile elle aussi en plein chaos.

« Dommage que le patron ne s’y exprime pas ! » regrette un spectateur.

Réaction un tantinet embarrassée de l’animateur…  « Je n’ai pas personnellement pris part au tournage du film mais il est probable que la Direction a été contactée mais qu’elle n’a pas donné suite… »

La voilà bien, cette scène d’actualité qui fait écho à la petite phrase perturbatrice de Roger Guillard et de ses souvenirs des années trente. Car ce père et ce fils qui débattent en cabine à couteaux tirés partagent manifestement une chose essentielle : ils ne travaillent pas pour un « patron » mais pour le Chemin de fer ; pour une gigantesque mécanique dont ils ne sont l’un et l’autre qu’un rouage, chacun à sa place et avec une place pour chacun depuis les postes affectés aux fonctions les plus ingrates jusqu’aux plus hautes sphères de la hiérarchie mais aucune place en revanche pour un autre «  patron » que le train lui-même.

Conformément aux souvenirs évoqués par Roger Guillard, le chemin de fer apparaît au travers de cette scène familiale en cabine comme une entreprise commune, une œuvre collective, un objectif vers lequel tendent les efforts de tous et de chacun par-delà leurs nuances respectives d’appréciation.

Voilà qui nous renvoie à une conception des rapports humains au travail défendue par un homme qui, à maintes reprises s’est lui-même référé à Raoul Dautry. Il s’agit de Jean Bernard, infatigable militant du regroupement des sociétés de compagnonnage et auteur d’un ouvrage de référence intitulé Compagnonnage, dont Dautry lui-même assura la présentation en 1951.

Dans Le compagnonnage, deuxième édition revue et augmentée éditée en 1982 aux Presses universitaires de France, il rapporte un éditorial du journal des Compagnons du devoir datant de novembre 1947 et fustigeant « les grandes conceptions modernes de l’ordre totalitaire.»

La nature humaine ne saurait se laisser calibrer comme des pêches ou des œufs sans violente réaction, y affirme l’éditorialiste qui plaide la cause d’un ordre cimenté par une fraternité assise sur l’acceptation préalable d’un but commun et d’une discipline librement consentie. L’exercice quotidien « du métier » serait selon lui l’un des plus formidables champs d’application de cet ordre étayé par la diversité.

Le propos nous renvoie trop précisément à nos propres réflexions autour de la place Balzac sur laquelle Raoul Dautry a centré la pointe de son compas pour ne pas nous pencher un peu plus avant à présent sur l’essence du Compagnonnage, sur ses fondements et sur ses éventuelles implications dans l’œuvre du fondateur de la première cité cheminote de la Compagnie du Nord.

 

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15 août 2011 1 15 /08 /août /2011 04:59

Roger GuillardSi la multiplication des visites guidée témoigne de l’intérêt de la population suscité par la publication du travail de Daniel Druart, d’autres témoignages sont venus, dans l’ombre, conforter notre démarche.
Parmi eux : un courrier de Roger Guillard, ancien adjoint au maire chargé des finances et véritable encyclopédie vivante de la vie locale.
« Tu te doutes qu’en tant qu’ancien cheminot et Ternois d’adoption de plus de soixante ans, j’ai beaucoup apprécié la page de l’Aisne Nouvelle consacrée à une approche originale de la question de la Cité » écrivait-il dès le 8 février.
Laissons-le donc justifier avec ses propres mots et avec le sens de la précision qui le caractérise, son intérêt pour le sujet.

«  Il est bien évident que la Cité sortie de l’esprit de Raoul Dautry restera dorénavant un mythe pour les générations nouvelles, qu’il conviendra de perpétuer. A cet égard, on ne peut qu’approuver le travail accompli par Daniel Druart dans ce sens.
«  Personnellement, je suis enclin à faire appel à mes souvenirs d’adolescent, bien qu’avant la seconde guerre, je n’étais pas sur place.
J’habitais Noyon. J’avais deux copains, internes au cours complémentaire de Noyon que je fréquentais également. A l’époque, le cours complémentaire était le lieu où l’on poursuivait ses études après l’ineffable certificat d’études, vers le brevet élémentaire et le brevet supérieur. . Il n’y avait qu’une minorité très réduite de jeunes qui avait le privilège de se destiner au BAC et aux études supérieures, via les collèges et les lycées ; tous établissements payants évidemment, par ailleurs.
«  J’eus donc, dans les années 1937-1939 le loisir de venir rendre visite à mes copains à plusieurs reprises, entre deux coups de pédale Noyon-Tergnier. Ils habitaient en bordure de la Cité, rue Roger Salengro.
«  A chaque fois, une visite/randonnée dans la célèbre Cité des Cheminots s’imposait. A cette époque d’avant la guerre 1939-45, la communication était statique. La radio (TSF) était loin d’être présente dans tous les foyers, l’automobile demeurait un luxe et la majorité des gens bougeait peu. Aussi, suivant un vague écho à Noyon, l’agglomération Tergnier/Beautor était considérée comme une zone laborieuse, turbulente, recouvrant un milieu populaire mal défini. La seule certitude était que l’emprise industrielle y était importante. Quel contraste avec le Noyon des années trente, qui n’a rien à voir avec la ville actuelle notablement étendue et modernisée !
«  Se relavant à peine de ses ruines, se complaisant dans sa situation de ville martyre de la Grande Guerre, Noyon était resté figée dans son milieu bourgeois «  bien pensant », imprégnée de son passé historique avec ses figures emblématiques, de St Eloi à Calvin en passant par Charlemagne et Hugues Capet ; également nostalgique de sa garnison du 9e cuirassier – les vrais, avec casque, cuirasse, sabre et montés à cheval ! Une société conservatrice, socialement très hiérarchisée (1936 avait été localement un séisme.)
 

Poste 3

Roger Guillard se souvient avoir été frappé par les tracés géométriques parmis les fleurs et la verdure.

 

 

«  C’est donc avec étonnement, voire incrédulité, que l’adolescent de 14-15 ans que j’étais, découvrit la Cité des Cheminots. Pratiquement, par rapport à un quotidien toujours présent, c’était un autre monde.
«  Ce qui frappait, c’était la couleur, l’étendue, l’homogénéité dans la diversité, les tracés géométriques parmi les fleurs et la verdure. Et tous ces gens apparemment de même condition, vivant précisément là, pour un boulot du ressort d’un même patron : «  le Chemin de fer. » Et de prime abord, heureux d’être là !
On peut dire qu’avec cette cité de Tergnier, approchée de l’extérieur, Raoul Dautry avait réussi à surprendre et même à apporter une part de rêve pour certains. Il faut à cet égard se replacer dans le contexte du moment.
«  Je ne m’imaginais pas que, quelque huit ans plus tard, je retrouverais cette légendaire Cité partiellement détruite, démantibulée, envahie par les broussailles dans ses ruines.
«  Cheminot frais, émoulu, j’intégrai le lotissement de baraques édifiées en excroissance de la Cité, baptisé «  Buchenwald » par dérision. D’ores et déjà en ce qui me concerne, dès ce moment là, la symbolique de la Cité originelle était du passé.

 

90 ans 3

Roger Guillard: je n'imaginais pas que je retrouverais cette légendaire Cité partiellement détruite...

 

 

«  Certes, elle se releva lentement, peu à peu, de ses ruines par différents programmes de construction successifs sous l’égide des filiales immobilières de la SNCF. Mais les nouvelles demeures n’avaient plus rien de commun avec les maisons typiques d’origine.
«  Chaque programme avait par lui-même son caractère particulier. Les bâtisses rescapées furent réhabilitées, une nouvelle voirie se constitua en fonction de tous ces différents programmes.
«  Certes, la Cité SNCF continua dans un premier temps à fonctionner sur ses bases d’avant guerre. Mais la SNCF, par touches successives, entreprit de se dégager de son emprise locale, du foncier au social.
«  Cela se fit corrélativement dans le cadre de l’évolution de la politique immobilière, avec la gestion dévolue aux sociétés HLM.
Ainsi le Conseil de Cité n’eut plus sa raison d’être. L’économat ferma, la piscine cessa son activité et fut démolie. L’école Veltin, restée propriété de la SNCF, après la reconstruction, fut remise à l’Etat. Il n’y eut plus de moniteurs SNCF intervenant dans les écoles.
«  Parallèlement, la voirie a été remise aux communes par tranches successives. Et en épilogue, avec le changement de statut de la SNCF en 1983, par sa conversion en EPIC (Etablissement Public Industriel et Commercial), cette dernière abandonna ses activités sociales encore existantes, au bénéfice des Comités d’Etablissement gérés par les organisations syndicales ( dixit le privé).
«  Par ailleurs, les logements, réservés initialement aux seuls cheminots en activité, furent d’abord maintenus aux retraités, puis en définitive banalisés et accessibles au monde extérieur. Des maisons sont proposées à la vente.
«  La Cité a définitivement perdu son âme et il est évident que la Cité-jardin, imaginée et réalisée par Raoul Dautry, relève maintenant du mythe d’autant que ceux qui l’on connue dans sa version d’origine, avant la guerre, seront au fil des années de moins en moins nombreux.
«  Mais l’esprit cheminot émanant de l’entité locale ne pouvait s’éteindre systématiquement, à la suite de tant de bouleversements.
Le Dépôt traction vapeur en a été le principal foyer. Il a été fermé en 1963, converti en dépôt relais au milieu du triage où il fonctionne toujours.
«  Il en résulte l’épopée des « Castors/Toit du Cheminot » et sa projection ayant abouti contre vent et marée à la création du centre des enfants inadaptés (AEI). Un nom vient de suite à l’esprit : celui de Marcel Laurence mais il était loin d’être seul.
«  Cette séquence de l’histoire locale ne peut être dissociée de la symbolique de la Cité, telle que Daniel Druart nous la suggère. Curieusement, elle se situe dans la ligne de la pensée humaniste caractérisant l’action de Raoul Dautry. Ce rapprochement apporte de l’eau au moulin de Daniel Druart. J’avoue avoir été impressionné par son travail à la Champollion, ainsi qu’il le dit.
Il a soulevé pour le moins une interrogation car l’éventualité d’une empreinte compagnonnique dans la conception et la réalisation d’une cité cheminote à Tergnier ne peut être écartée d’un revers de main.
«  Les arguments que Daniel Druart fait valoir sont concrets et il appartient à chacun de les projeter au niveau de l’abstrait. En toute hypothèse, il est fort possible que Dautry ait recherché le symbole de «  l’épanouissement de l’Homme » lorsqu’il a élaboré son projet pour Tergnier.
«  En parcourant les rues de la Cité, dans sa partie d’origine, je m’étais parfois demandé pourquoi le nom de certaines relevait de l’insolite : rues des Vertus, de la Fraternité, de l’Espérance, du Paradis…
«  L’explication qu’en donne Daniel Druart est assez troublante.

 

Photos-articles 5749

 

«  Par ailleurs, quand l’examen de la structure de la Cité vous amène à y déceler  les différentes allégories se référant au Grand Architecte de l’Univers, on est tenté par la filiation maçonnique.
«  Il est avéré qu’une empreinte maçonnique a existé au début du siècle dernier parmi les édiles et certaines personnalités de l’ensemble ternois.
«  Chacun sait que la Franc-Maçonnerie fut mise hors la loi par Vichy en 1940. Qu’en advint-il après la libération sur le secteur Ternois ?
Il est probable que la présence maçonnique a plus ou moins refait surface depuis. L’anecdote concernant Xavier Bertrand ayant fréquenté la loge de la rue A.Calmette à Vouel (Cf l‘Express, je crois) a remis la question au goût du jour.
«  Chargé de la remise en état des installations ferroviaires dévastées par la Grande Guerre, il est vraisemblable que Dautry ne pouvait ignorer le milieu actif d’un centre de l’importance de Tergnier.
«  Sans vouloir extrapoler de façon exagérée, il n’est pas exclu qu’au moment de la conception de la Cité cheminote, il ait été sensible à un climat social et à un fond d’esprit qui correspondaient à ses propres aspirations. Ce n’est évidemment qu’une hypothèse ; une piste à explorer… »

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L'histoire d'une Histoire

 

Vue aerienne

 

 

Ville-champignon érigée autour des rails, Tergnier est une ville que l'on croyait sans autre histoire que celle du chemin de fer et de ses destructions successives par les guerres jusqu'à ce que la curiosité de l'un de ses habitants, ancien épicier, mette à jour des richesses jusqu'alors insoupçonnées venues du fond des âges.  

Sautez dans «  le train en marche » et partager cette formidable aventure humaine aux confins du compagnonnage et de la franc-maçonnerie, dans des registres où se côtoient les applications les plus modernes de la sociologie et les plus anciens rites de fondation des villes, la psychologie et l'économie, l'Histoire officielle et l'actualité d'un passé qui interroge le présent....