Cinquante et un ans plus tard, les anciens
apprentis SNCF de la promotion 1959-1962 sont revenus à Tergnier ce mercredi 8 septembre. Ils se sont revus et la magie dont parlait Yves Buteau dans notre précédent billet consacré au sujet, a opéré. "C’est
incroyable ; le groupe s’est immédiatement reformé!" s’exclame t-il. Ou plutôt les groupes car à la lumière de ses explications, on comprend mieux comment les
individus ont pû en leur temps s’épanouir individuellement dans un ensemble dont tous retiennent " l’esprit de corps ".
Yves Buteau parle de " petits groupes au sein desquels chacun va et viens aux petits groupes voisins comme un électron libre." Les anciens apprentis manifestement, ne confondent pas l’unité et l’uniformité.
D’uniformité au demeurant, il ne pouvait pas en être question ce jour-là au regard de la diversité des parcours de chacun depuis leur séparation voici un demi siècle.
L’un est maire de Belleu, près de Soissons ; l’autre est premier adjoint au maire de Tergnier. Un autre encore a fait carrière dans la police tandis que son voisin, chef d’entreprise, se concentre actuellement sur la transmission de son affaire à son fils…
Tous, par delà leurs spécificités, revendiquent en revanche l’empreinte profonde de leurs années d’apprentissage. Il fallait bien qu’il en soit ainsi pour qu’une simple invitation à se retrouver les persuade du bien fondé d’un déplacement parfois long, depuis les départements voisins de l’Oise, de la Somme ou du Nord mais également depuis la région parisienne et le Toulousain. "L’un de nous devait venir de Charente mais il s’est blessé hier en cueillant des pruneaux" déplore Yves Buteau. Qu’à cela ne tienne : des dix-neuf apprentis de la promo qu’ils avaient pu contacter sur les vingt-sept survivants, seize ont répondu à l’appel.
Détail révélateur de l’état d’esprit qui continue de les animer après toutes ces années : ce n’est pas seulement aux anciens apprentis de la promo 59-62 que Rémi Percheval, l’initiateur du rendez-vous, rendit hommage, mais à tous ceux et toutes celles qui, à des degrés divers, contribuèrent à forger cette promotion : des apprentis à "Pépère", le chef de centre, en passant par chacun des formateurs, individuellement nommé.
Des souvenirs, les uns et les autres en ont ravivé à foison au cours de cette journée.
Souvenirs teintés d’amertume lorsque, constatant l’état d’abandon du site de leur centre d’apprentissage, les anciens de la promo ne trouvèrent pas de toile de fond plus évocatrice de leurs jeunes années que l’ancien foyer des mécaniciens pour tirer une photo de groupe.
Souvenirs joyeux aussi lorsque, retrouvant le complexe sportif de la cité, tous se soumirent au rituel du mouvement talons-pointes auquel les tenait voici cinquante ans leur prof de sport Henri Roussel – celui-là même qui "n’a jamais laissé décrocher" Yves Buteau.
Souvenirs empreints d’une note de fierté enfin lorsque, dénouant l’emballage de chiffon dans lequel il les conserve soigneusement huilées, le dénommé Varlet dévoila l’ensemble de ses pièces d’ajustage réalisées en trois ans avec la solennité du compagnon présentant son chef d’œuvre.
"Tolérance H7!" s’exclame Yves Buteau .
H7 : comprenez 33 centièmes de millimètre de marge d’erreur, en plus ou en moins. Un véritable tour de force lorsque l’on sait que ces pièces ont été intégralement réalisées à la main à partir de pièces métalliques brutes et parfois même rouillées.
"Seuls les trous d’évacuation ont été réalisés à la perceuse" précise Yves Buteau avec dans la voix, une pointe d’émotion que l’on ne sait attribuer à de la fierté ou à de l’humilité. A un registre comparable en tout cas, à celui de Jean-Pierre Bayard lorsqu’il affirme dans L’esprit du compagnonnage que le " geste désordonné, fait sans profonde intention, est inefficace ; le geste du compagnon est celui de la rigueur, de la sobriété, un geste pur, conscient de sa force et de sa maîtrise. "
En vedette de ces retrouvailles: l'ensemble des pièces d'ajustage réalisées durant trois ans par l'un des anciens apprentis présents; tolérance H7!