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15 août 2011 1 15 /08 /août /2011 04:59

Roger GuillardSi la multiplication des visites guidée témoigne de l’intérêt de la population suscité par la publication du travail de Daniel Druart, d’autres témoignages sont venus, dans l’ombre, conforter notre démarche.
Parmi eux : un courrier de Roger Guillard, ancien adjoint au maire chargé des finances et véritable encyclopédie vivante de la vie locale.
« Tu te doutes qu’en tant qu’ancien cheminot et Ternois d’adoption de plus de soixante ans, j’ai beaucoup apprécié la page de l’Aisne Nouvelle consacrée à une approche originale de la question de la Cité » écrivait-il dès le 8 février.
Laissons-le donc justifier avec ses propres mots et avec le sens de la précision qui le caractérise, son intérêt pour le sujet.

«  Il est bien évident que la Cité sortie de l’esprit de Raoul Dautry restera dorénavant un mythe pour les générations nouvelles, qu’il conviendra de perpétuer. A cet égard, on ne peut qu’approuver le travail accompli par Daniel Druart dans ce sens.
«  Personnellement, je suis enclin à faire appel à mes souvenirs d’adolescent, bien qu’avant la seconde guerre, je n’étais pas sur place.
J’habitais Noyon. J’avais deux copains, internes au cours complémentaire de Noyon que je fréquentais également. A l’époque, le cours complémentaire était le lieu où l’on poursuivait ses études après l’ineffable certificat d’études, vers le brevet élémentaire et le brevet supérieur. . Il n’y avait qu’une minorité très réduite de jeunes qui avait le privilège de se destiner au BAC et aux études supérieures, via les collèges et les lycées ; tous établissements payants évidemment, par ailleurs.
«  J’eus donc, dans les années 1937-1939 le loisir de venir rendre visite à mes copains à plusieurs reprises, entre deux coups de pédale Noyon-Tergnier. Ils habitaient en bordure de la Cité, rue Roger Salengro.
«  A chaque fois, une visite/randonnée dans la célèbre Cité des Cheminots s’imposait. A cette époque d’avant la guerre 1939-45, la communication était statique. La radio (TSF) était loin d’être présente dans tous les foyers, l’automobile demeurait un luxe et la majorité des gens bougeait peu. Aussi, suivant un vague écho à Noyon, l’agglomération Tergnier/Beautor était considérée comme une zone laborieuse, turbulente, recouvrant un milieu populaire mal défini. La seule certitude était que l’emprise industrielle y était importante. Quel contraste avec le Noyon des années trente, qui n’a rien à voir avec la ville actuelle notablement étendue et modernisée !
«  Se relavant à peine de ses ruines, se complaisant dans sa situation de ville martyre de la Grande Guerre, Noyon était resté figée dans son milieu bourgeois «  bien pensant », imprégnée de son passé historique avec ses figures emblématiques, de St Eloi à Calvin en passant par Charlemagne et Hugues Capet ; également nostalgique de sa garnison du 9e cuirassier – les vrais, avec casque, cuirasse, sabre et montés à cheval ! Une société conservatrice, socialement très hiérarchisée (1936 avait été localement un séisme.)
 

Poste 3

Roger Guillard se souvient avoir été frappé par les tracés géométriques parmis les fleurs et la verdure.

 

 

«  C’est donc avec étonnement, voire incrédulité, que l’adolescent de 14-15 ans que j’étais, découvrit la Cité des Cheminots. Pratiquement, par rapport à un quotidien toujours présent, c’était un autre monde.
«  Ce qui frappait, c’était la couleur, l’étendue, l’homogénéité dans la diversité, les tracés géométriques parmi les fleurs et la verdure. Et tous ces gens apparemment de même condition, vivant précisément là, pour un boulot du ressort d’un même patron : «  le Chemin de fer. » Et de prime abord, heureux d’être là !
On peut dire qu’avec cette cité de Tergnier, approchée de l’extérieur, Raoul Dautry avait réussi à surprendre et même à apporter une part de rêve pour certains. Il faut à cet égard se replacer dans le contexte du moment.
«  Je ne m’imaginais pas que, quelque huit ans plus tard, je retrouverais cette légendaire Cité partiellement détruite, démantibulée, envahie par les broussailles dans ses ruines.
«  Cheminot frais, émoulu, j’intégrai le lotissement de baraques édifiées en excroissance de la Cité, baptisé «  Buchenwald » par dérision. D’ores et déjà en ce qui me concerne, dès ce moment là, la symbolique de la Cité originelle était du passé.

 

90 ans 3

Roger Guillard: je n'imaginais pas que je retrouverais cette légendaire Cité partiellement détruite...

 

 

«  Certes, elle se releva lentement, peu à peu, de ses ruines par différents programmes de construction successifs sous l’égide des filiales immobilières de la SNCF. Mais les nouvelles demeures n’avaient plus rien de commun avec les maisons typiques d’origine.
«  Chaque programme avait par lui-même son caractère particulier. Les bâtisses rescapées furent réhabilitées, une nouvelle voirie se constitua en fonction de tous ces différents programmes.
«  Certes, la Cité SNCF continua dans un premier temps à fonctionner sur ses bases d’avant guerre. Mais la SNCF, par touches successives, entreprit de se dégager de son emprise locale, du foncier au social.
«  Cela se fit corrélativement dans le cadre de l’évolution de la politique immobilière, avec la gestion dévolue aux sociétés HLM.
Ainsi le Conseil de Cité n’eut plus sa raison d’être. L’économat ferma, la piscine cessa son activité et fut démolie. L’école Veltin, restée propriété de la SNCF, après la reconstruction, fut remise à l’Etat. Il n’y eut plus de moniteurs SNCF intervenant dans les écoles.
«  Parallèlement, la voirie a été remise aux communes par tranches successives. Et en épilogue, avec le changement de statut de la SNCF en 1983, par sa conversion en EPIC (Etablissement Public Industriel et Commercial), cette dernière abandonna ses activités sociales encore existantes, au bénéfice des Comités d’Etablissement gérés par les organisations syndicales ( dixit le privé).
«  Par ailleurs, les logements, réservés initialement aux seuls cheminots en activité, furent d’abord maintenus aux retraités, puis en définitive banalisés et accessibles au monde extérieur. Des maisons sont proposées à la vente.
«  La Cité a définitivement perdu son âme et il est évident que la Cité-jardin, imaginée et réalisée par Raoul Dautry, relève maintenant du mythe d’autant que ceux qui l’on connue dans sa version d’origine, avant la guerre, seront au fil des années de moins en moins nombreux.
«  Mais l’esprit cheminot émanant de l’entité locale ne pouvait s’éteindre systématiquement, à la suite de tant de bouleversements.
Le Dépôt traction vapeur en a été le principal foyer. Il a été fermé en 1963, converti en dépôt relais au milieu du triage où il fonctionne toujours.
«  Il en résulte l’épopée des « Castors/Toit du Cheminot » et sa projection ayant abouti contre vent et marée à la création du centre des enfants inadaptés (AEI). Un nom vient de suite à l’esprit : celui de Marcel Laurence mais il était loin d’être seul.
«  Cette séquence de l’histoire locale ne peut être dissociée de la symbolique de la Cité, telle que Daniel Druart nous la suggère. Curieusement, elle se situe dans la ligne de la pensée humaniste caractérisant l’action de Raoul Dautry. Ce rapprochement apporte de l’eau au moulin de Daniel Druart. J’avoue avoir été impressionné par son travail à la Champollion, ainsi qu’il le dit.
Il a soulevé pour le moins une interrogation car l’éventualité d’une empreinte compagnonnique dans la conception et la réalisation d’une cité cheminote à Tergnier ne peut être écartée d’un revers de main.
«  Les arguments que Daniel Druart fait valoir sont concrets et il appartient à chacun de les projeter au niveau de l’abstrait. En toute hypothèse, il est fort possible que Dautry ait recherché le symbole de «  l’épanouissement de l’Homme » lorsqu’il a élaboré son projet pour Tergnier.
«  En parcourant les rues de la Cité, dans sa partie d’origine, je m’étais parfois demandé pourquoi le nom de certaines relevait de l’insolite : rues des Vertus, de la Fraternité, de l’Espérance, du Paradis…
«  L’explication qu’en donne Daniel Druart est assez troublante.

 

Photos-articles 5749

 

«  Par ailleurs, quand l’examen de la structure de la Cité vous amène à y déceler  les différentes allégories se référant au Grand Architecte de l’Univers, on est tenté par la filiation maçonnique.
«  Il est avéré qu’une empreinte maçonnique a existé au début du siècle dernier parmi les édiles et certaines personnalités de l’ensemble ternois.
«  Chacun sait que la Franc-Maçonnerie fut mise hors la loi par Vichy en 1940. Qu’en advint-il après la libération sur le secteur Ternois ?
Il est probable que la présence maçonnique a plus ou moins refait surface depuis. L’anecdote concernant Xavier Bertrand ayant fréquenté la loge de la rue A.Calmette à Vouel (Cf l‘Express, je crois) a remis la question au goût du jour.
«  Chargé de la remise en état des installations ferroviaires dévastées par la Grande Guerre, il est vraisemblable que Dautry ne pouvait ignorer le milieu actif d’un centre de l’importance de Tergnier.
«  Sans vouloir extrapoler de façon exagérée, il n’est pas exclu qu’au moment de la conception de la Cité cheminote, il ait été sensible à un climat social et à un fond d’esprit qui correspondaient à ses propres aspirations. Ce n’est évidemment qu’une hypothèse ; une piste à explorer… »

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commentaires

A
<br /> Merci à Roger, de ce témoignage vivant, que j'ai dévoré tout cru..beau travail que tout cela, oui, je trouve décidément qu'il est bon de laisser le souvenir parler de ses vives voies, à travers la<br /> concrète existence de ceux qui ont connu Tergnier dans ses fondements, ou presque !<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Merci, Anne, de votre commentaire qui colle si bien à l'esprit de notre démarche. Votre intérêt pour la Cité originelle contribue, je pense, au fait qu'elle ne sera jamais tout à fait disparue<br /> tant qu'elle nous inspirera.<br /> <br /> <br /> Marc<br /> <br /> <br /> <br />

L'histoire d'une Histoire

 

Vue aerienne

 

 

Ville-champignon érigée autour des rails, Tergnier est une ville que l'on croyait sans autre histoire que celle du chemin de fer et de ses destructions successives par les guerres jusqu'à ce que la curiosité de l'un de ses habitants, ancien épicier, mette à jour des richesses jusqu'alors insoupçonnées venues du fond des âges.  

Sautez dans «  le train en marche » et partager cette formidable aventure humaine aux confins du compagnonnage et de la franc-maçonnerie, dans des registres où se côtoient les applications les plus modernes de la sociologie et les plus anciens rites de fondation des villes, la psychologie et l'économie, l'Histoire officielle et l'actualité d'un passé qui interroge le présent....