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13 décembre 2010 1 13 /12 /décembre /2010 13:17

Commençons ici à vérifier la concordance des diagrammes sociaux formalisés voici quarante ans par le Centre de Communication Avancée au travers des sociostyles et voici quatre-vingt-dix ans par Raoul Dautry avec sa Cité modèle...

 

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Dans la Cité modèle de Raoul Dautry, le soleil se lève chaque jour sur les installations vouées au travail...

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Le Dépôt des machines...

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Les ateliers, alors en construction...

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Le centre d'apprentissage situé entre le Dépôt des machines et le canal...

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Depuis le canal, les nouvelles installations ferroviviaires se présentent comme un ensemnble homogène et imposant.

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27 novembre 2010 6 27 /11 /novembre /2010 12:29

Les deux axes qui étalonnent l’éventail des genres journalistiques selon des critères puisés dans le répertoire des principes féminins et masculins ont trouvé, depuis la construction de la cité modèle de Raoul Dautry, un terrain d’application plus vaste encore que celui des médias...

Sociostructure 1 

Selon Bernard Cathelat, co-fondateur du Centre de Communication Avancé, deux axes structurent la carte sociologique française de façon constante. Le premier oppose les pôles de stabilité et de changement ; le second, les pôles de plaisir matérialiste et de rigueur psychologique.

 

L’éventail des genres journalistes n’apparaît être en vérité qu’une déclinaison très ciblée d’un mode de cartographie sociale plus global élaboré en 1970 toujours selon deux axes perpendiculaires vecteurs des principes féminins et masculins: celui des sociostyles.

Des entreprises et groupements d’intérêts aussi réputés que Peugeot, le Crédit lyonnais, EDF, La poste, les Mutuelles du Mans, Carrefour ou encore le syndicat de la presse quotidienne régionale ont recouru, ou recourent encore, à cette méthode de segmentation du tissu social qui permet d’en anticiper les évolutions ; dans leur cas pour affiner l’offre commerciale et la stratégie de communication.

Aux vieilles méthodes de segmentation de la société en classes sociales, puis en catégories socio-économiques, le Centre de Communication Avancée du groupe Havas-Eurocom substitua au début des années 1970 une méthode de segmentation intégrant la psychologie de ses contemporains et les tendances de son évolution.

Selon Bernard Cathelat, co-fondateur et directeur de recherche au C.C.A., le tissu social n’est pas fait que de catégories socio-professionnelles ; il est aussi addition de valeurs et de sensibilités évolutives sur des sujets aussi fondamentaux que la famille, le travail ou encore la religion. On retrouve là la mosaïque humaine que Balzac a voulu reconstituer au travers de la Comédie humaine ; cher Balzac qui a donné son nom à la place sur laquelle Dautry positionne la pointe de son compas

Ce sont ces valeurs et ses sensibilités fondamentales constitutives de la diversité humaine que le laboratoire social du C.C.A. recense sous l’appellation de mentalités, elles-mêmes précisées et affinées selon leurs déclinaisons concrètes au quotidien sous le terme de socio-styles.

 

A chaque époque sa culture

Sociostructure 2 

Les études menées par le C.C.A. au prix de sondages quasi permanents mettent en évidence une fragmentation très marquée du tissu social à partir des années 70.

 

Chaque époque selon Bernard Cathelat générerait dans une société à l’échelle de la communauté nationale une culture dominante mais la culture dominante ne saurait se prévaloir d’être la seule culture. Il en veut pour preuve la fragmentation progressive du tissu social mise en évidence par l’examen des socio-styles en France à partir du premier choc pétrolier.

A une France de l’entre deux guerres très majoritairement portée par des valeurs utilitaristes mariant l’austérité de la vie quotidienne au respect de l’ordre établi avait succédé selon lui une France des trente glorieuses plus ouverte au changement, mue par la confiance dans le progrès et le modernisme; puis une France du choc pétrolier embrassant majoritairement des valeurs révélatrices d’une aspiration à la qualité de vie qui repose simultanément sur la quête de plaisirs individuels et de sécurité.

C’est la fragmentation des valeurs dominantes portées par cette France là que le C.C.A. observe à l’approche des années 80.

Toujours porté par l’aspiration aux plaisirs individuels apparaît dans un premier temps un contre-courant culturel porté par l’ouverture au changement et à l’innovation, puis dans un deuxième temps un autre courant encore qui, sous l’effet de la crise, aspire désormais plus à la rigueur matérialiste qu’à l’aspiration aux plaisirs sans rien céder pour autant de ses élans sécuritaires.

La cartographie française des socio-styles établie au milieu des années 80 par le CCA met en évidence trois courants culturels divergents révélateurs d’un tissu social soumis à de fortes tensions et auxquels les acteurs de la vie économiques s’efforcent d’adapter leurs discours.

Inutile de parler le langage de la sécurité à la portion de France ouverte à l’innovation ; elle ne le comprendrait pas.

Tout aussi inutile et inefficace serait le langage du plaisir à l’intention de la portion de France rigoriste.

Plus qu’une France fragmentée, c’est une France disloquée qui se positionne autour des deux axes de la structure cartographique du CCA. Alors que chaque zone de la carte recouvre sa part des valeurs et sensibilités constitutives de la diversité et de la richesse du genre humain, chaque courant se fige dans une zone et une seule sans balayer les zones voisines dans lesquelles les autres courants se figent eux aussi. La fragmentation du tissu social préside à l’isolement de ses différentes composantes et à la dislocation du lien social.

La structure du diagramme social du CCA ayant de commun avec celle de la Cité des cheminots de Tergnier les qualités constitutives du genre humain affectées au cardo et au décumanus, on se demande alors si le géni de Raoul Dautry ne fut pas d’avoir anticipé, un demi-siècle avant l’apport des socio-styles, les effets dévastateurs du cantonnement des individus en différentes zones fonctionnelles d’une micro-société cheminote dont sa cartographie urbaine ne serait que le diagramme, entendez par là une représentation schématique mettant en évidence les différentes composantes, leur interaction et leurs évolutions.

 

Tous en un

 Sociostructure 3

La correspondance entre la nature des équipements de la Cité et les pôles de la carte sociologique du C.C.A. est frappante.

 

Comme la cartographie des socio-styles, le plan originel de la cité cheminote distribue l’espace public en zones distinctes affectées à des fonctions régies par des valeurs, des attentes et des aspirations particulières.

Selon l’axe Nord Sud que le diagramme du C.C.A. associe à l’échelle des sensations comprises entre le pôle d’austérité et le pôle des plaisirs matérialistes, on trouve le cardo, axe d’essence masculine reliant l’entrée de la Cité, place de l’Etoile, à la sortie matérialisée par le château d’eau. Or dans le contexte du début du XXe siècle, la ville de Tergnier adossée à la place de l’Etoile incarne bien l’austérité d’un milieu submergé par la révolution industrielle et dans lequel l’individu subit le cours des évènements et de sa vie.

A l’opposé, le château d’eau, pour une population arrachée à ses campagnes par la promesse de jours meilleurs, est la parfaite représentation à la fois de la terre nourricière qui apaise la faim et du confort jusque là inconnu et très matériel de l’eau courante.

Dans le même esprit, on remarquera que l’axe Est-Ouest associé dans le diagramme du CCA à l’échelle de l’innovation comprise entre un pôle de stabilité et un pôle d’aventure correspond au décumanus reliant à l’Est les infrastructures ferroviaires et à l’Ouest le stade Charles Secret, lieu voué par essence au dépassement de soi et ouvrant sur des espaces vierges.

Là encore, le contexte du début du XXe siècle assure à cette polarisation des socio-styles une résonance particulière. Dans une micro société dont l’intégralité des rapports sociaux est assujettie à l’organisation du travail, on trouve bel et bien au pôle que Bernard Cathelat affectera plus tard aux valeurs fondées sur l’aspiration à la stabilité tous les équipements voués au travail : dépôt, ateliers, centre d’apprentissage…

A l’opposé de ce pôle de stabilité, le stade Charles Secret flanqué de sa splendide piscine se prête parfaitement à la représentation de l’esprit d’aventure auquel il est donné à une population dure au travail de se livrer dans les registres jusqu’alors inconnus du sport, du jeux et du loisirs sportif.

Une place pour chaque chose, pour chaque état d’esprit, pour chaque aspiration, et chaque manifestation d’une aspiration, d’un état d’esprit, à sa place. Raoul Dautry a tout particulièrement veillé à ce qu’il en soit ainsi et pas autrement.

C’est du côté du soleil levant que commence la journée de l’employé de la Compagnie du Nord et du côté du soleil couchant, après le travail, qu’elle se termine. Certes, on peut fréquenter le stade et la piscine la journée mais en sachant pertinemment qu’il ne s’agit là que d’une facilité accordée aux dispensés du travail. On retrouve là la logique du décumanus décrivant l’axe de la course du soleil autour de l’axe de rotation de la Terre.

Dans le même esprit, c’est le dimanche venu et seulement le dimanche venu que les adultes peuvent se ressourcer en s’abandonnant aux plaisirs d’une promenade en famille dans l’écrin verdoyant du parc des Buttes Chaumont, agrémentée souvent d’une aubade de l’Harmonie des Cheminots car il ne s’agit pas non plus de céder à la tentation d’un retour à l’état de nature.

Les correspondances entre le diagramme social du C.C.A. et le diagramme urbain de Raoul Dautry sont décidément trop frappantes pour être ignorées. Trop frappantes aussi pour ne pas relever ce qui les distingue profondément : les flux.

Le diagramme du C.C.A. décrit une société toujours plus fragmentée dont les composantes n’évoluent que lentement et distinctement sur la carte sociale au risque de s’ignorer mutuellement. Celui de Raoul Dautry décrit une microsociété dont les individus vont et viennent d’un pôle à l’autre dans un mixage permanent qui fait de l’addition de tous par delà la diversité des mouvements quotidiens de chacun un ensemble homogène. Et périodiquement, tous s’inclinent en chœur devant la même stèle érigée place du 113e R.I., à la jonction des deux axes ; au point du «  juste milieu » si l’on se réfère à nos diagrammes. Dans certains…milieux, on parle même de «  Chambre du milieu. » Oubliez la Franc-Maçonnerie, elle revient au galop.

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12 novembre 2010 5 12 /11 /novembre /2010 11:54

Mme HeugelDe la cité antique qui fonde une communauté de destin, Raoul Dautry a de toute évidence repris les deux axes structurants caractéristiques d’un rituel qui traverse les âges et qui nous ramènent sur le terrain du compagnonnage.

Comme nous le découvrions lors d’une précédente étape de notre voyage dans le temps, le cardo, axe nord-sud, symbolise traditionnellement la nature masculine alors que le décumanus est de nature féminine.

Loin d’opérer une scission des genres incapable de dépasser l’horizon d’une confrontation des sexes, la terminologie dresse au contraire le cadre d’une unité des genres qui passe par la reconnaissance des spécificités de chacune de ses composantes.

« Les initiations féminine et masculine, nettement différenciées, répondent aux deux sensibilités humaines qui ne s’opposent pas mais se complètent, à l’image de l’union symbolique entre la terre et le ciel. Comme le montre le symbole du yin-yang, l’unité ne peut s’obtenir qu’à partir du couple… » commente Jean-Pierre Bayard dans l’Esprit du compagnonnage. On notera au passage que ce commentaire porte en vérité sur l’initiation maçonnique, dont l’auteur a préalablement relevé la communauté de fondation avec le rituel compagnonnique. Les deux sensibilités accordent à la femme une place qui alimente un vieux débat aux confins de la controverse.

 

Le reflet de Madame Heugel

 

« Le compagnonnage français initie quelques rares femmes : la Mère. Cette épouse d’un compagnon dirige la Cayenne dans les soins ménagers. Cette femme partiellement initiée ne peut cependant participer aux réunions secrètes des hommes » explique Jean-Pierre Bayard. « La mère incarne l’esprit de la maison qu’elle dirige. Elle veille sur la vie intérieure de l’établissement… »

On pense là à Madame Heugel dont Renée Méresse devant les caméras de FR 3 Picardie se souvenait en septembre 2008 comme d’une «  femme qui avait des pouvoirs sur la Cité ». On pense aussi à ces assistantes sociales auxquelles Raoul Dautry rappela dans une note datée de 1929 qu’elle «  ne doivent intervenir en aucune manière dans les affaires administratives ».

« Les assistantes sociales doivent rester à leur place et ne pas interférer dans la sphère professionnelle » écrit à ce sujet Laurent Thévenet, assistant de secteur, dans L’invention des services sociaux aux chemins de fer, un ouvrage collectif consacré aux origines de l’action sociale.

La Mère compagnonnique pour autant, n’a rien d’une figurante cantonnée dans une fonction de second plan.

« Lors des banquets, les Mères sont toujours placées à la table d’honneur, aux côtés des plus hauts dignitaires. On ne fume pas et on ne tombe pas la veste sans l’accord de la mère. Dans un discours, la première personne citée est Notre Mère ou Nos Mères, avant même toute autre personne officielle ou mise à l’honneur » note à ce sujet Jean-Pierre Bayard qui, citant le philosophe Friedrich Nietzsche, appelle à propos de la distinction homme-femme à ne pas confondre « émancipation féminine » et « masculinisation des femmes. »

« Les psychologies de l’homme et de la femme diffèrent tout en se complétant : il faut laisser à chacun la possibilité de s’exprimer pleinement » conclut Jean-Pierre Bayard pour qui «  la distinction entre les activités des individus ne provient pas du rejet de l’un ou de l’autre sexe mais, au contraire, de la recherche du développement de l’entière personnalité de chacun ».

La distinction opérée serait plus en somme affaire de complémentarité psychologique que de hiérarchie sexuelle. Une thèse défendue par ailleurs par Mircea Eliade considéré comme le fondateur de l’histoire moderne des religions, lui-même admirateur déclaré de René Guénon, une sommité de la métaphysique et de l’ésotérisme à laquelle Jean-Pierre Bayard multiplie les références.

Selon Mircéa Eliade, féminin et masculin seraient des composantes à la fois de l’homme et de la femme et l’assimilation du principe masculin au genre masculin serait dès lors aussi réductrice que celle du principe féminin au genre féminin.

Psychologue clinicien et psychothérapeute spécialiste de la Gestalt thérapie (thérapie dite du contact) Serge Ginger ne disait pas autre chose lors du troisième congrès mondial de psychothérapie de Vienne en 2002 lorsqu’il nuançait les différences de fonctionnement des cerveaux féminin et masculin d’estimations selon lesquels un homme sur cinq environ disposerait d’un cerveau de type féminin et une femme sur dix d’un cerveau de type masculin.

D’une façon générale, les chercheurs en neurosciences s’accordent selon lui à reconnaître respectivement chez les femmes un cerveau gauche et chez les hommes un cerveau droit plus développé.

L’action conjuguée des hormones et des neurotransmetteurs aurait progressivement modelé les cerveaux et organes des sens féminins et masculins au fil des millénaires, opérant une sorte de sélection naturelle sanctionnée par des prédispositions qui, si elles n’ont rien d’irréversibles, n’en demeurent pas moins réelles. Au cerveau féminin les prédispositions au partage verbal et plus largement à la communication ; au cerveau masculin l’inclination à l’action et à la compétition.

 

Aux fondements de la communication

 

Photos-articles 0873Il en résulte que la femme, ou plutôt le cerveau féminin, serait plus ouvert au bavardage mais aussi par extension, au partage et par là à la confrontation des idées, des sensations et des émotions tandis que le cerveau masculin serait enclin à transcender l’émotion dans l’action. Deux inclinations à la communication dont l’éventail des genres journalistiques recouvrent par ailleurs assez fidèlement les qualités respectives selon – là encore – deux axes qui définissent une cartographie du positionnement journalistique entre la «  nouvelle » et son destinataire.

Entre l’enquête et la reproduction d’un communiqué de presse, le journaliste se doit en l’occurrence d’opter dans un premier temps pour une information de source originale ou, au contraire, une information de source collective ; c’est-à-dire de se situer sur l’échelle de la nouveauté entre aller au-delà de ce dont il lui est donné de prendre connaissance ou, à l’opposé, se contenter de le transmettre au public vierge de toute initiative journalistique. Interroger, échanger, confronter pour partager : autant de prédispositions attribuées au cerveau gauche.

Mais dans un deuxième temps, le journaliste a aussi à choisir entre le compte rendu et le reportage. Sur l’échelle des sensations, il lui faut synthétiser l’événement selon des critères qui font appel à la raison ou, au contraire, le faire ressentir à son public à grand renfort de descriptions relatives au contexte, à l’atmosphère, aux sensations ou encore aux réactions. Cette échelle là est celle des émotions.

Perpendiculaires entre elles, ces deux échelles dessinent une cartographie qui, en situant le positionnement du journaliste entre la nouvelle et son public, éclaire assez fidèlement l’éventail des fonctions sociales de la communication collective : faire savoir, faire comprendre, faire ressentir, divertir, émouvoir, dénoncer, rassurer… Toutes les fonctions médiatiques représentatives de la diversité et de la complémentarité des relations sociales et par-là, des attentes particulières et prédispositions de chacune de ses composantes.

Diversité, complémentarité… C’est bien de cela dont il est question avec la juxtaposition des axes de natures féminine et masculine. Et nous verrons dans notre prochain billet qu’outre l’étalonnage des genres journalistique alors même que les premières tentatives d’enseignement du journalisme relèvent encore de l’utopie, la juxtaposition de ces axes autour desquels Raoul Dautry ordonnance dès 1919 sa cité modèle structurera aussi cinquante ans plus tard l’une des applications quotidiennes majeures de la sociologie.

 

Femmes 95Décembre 1995: les conjointes de cheminots s'engagent aux côtés des grévistes. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

Fermmes 2010 

 

 

 

Octobre 2010: c'est encore à l'initiative des conjointes de cheminots que s'organise le comité de soutien aux grévistes. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                          

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4 novembre 2010 4 04 /11 /novembre /2010 13:36

Maisons 0224

"...Vous aurez une idée de la gaieté prodigieuse de cette cité-jardin"...

 

 

Reconnaissance sociale, estime de soi, goût du dépassement… Les besoins que Raoul Dautry veut permettre à «  ses hommes du rail » de satisfaire pour s’épanouir individuellement au sein de la collectivité le situent aux antipodes de la vive tentation de l’époque de préserver le genre humain de ses travers en effaçant chez lui toute trace d’humanité et, par-là, d’individualité.

Evoquant dans Métier d’homme le bilan humain des cités de la Compagnie du Nord, l’ingénieur des chemins de fer tient d’ailleurs à l’égard des expériences collectivistes des propos tranchés. La Compagnie du Nord, dit-il, «  n’a pas voulu créer un phalanstère, et y faire entrer de force les agents et leurs familles, mais créer des conditions favorables à l’éclosion de la vie familiale, source de richesse et d’ordre, à une vie sociale éprise d’idéal, débarrassée des luttes politiques et des rivalités d’intérêt. »

Tranchés, ses propos le sont également lorsqu’il fustige l’incapacité des lieutenants de l’industrie à se comporter en meneurs d’hommes. L’école, scande t-il, n’a pas dit aux ingénieurs «  qu’à côté de la machine, il y a l’ouvrier et que si l’une est de métal aux forces dociles et aux résistances calculables, l’autre est de chair et d’esprit et que ses besoins et ses aspirations n’obéissent pas à des lois aussi simples que celles de la mécanique. »

Plaidant la cause d’une formation sociale de l’ingénieur, Raoul Dautry s’appuie sur un virulent réquisitoire à l’égard d’une instrumentalisation du genre humain qui se dispense de la connaissance des hommes, «  de leurs passions, de leurs désirs et de leurs besoins, de leurs joies et de leurs peines. »

Cet humanisme exacerbé se nourrit paradoxalement d’un réalisme qui le renvoie sur le terrain du pragmatisme aride. «  L’art de faire vivre les hommes ensemble vingt-quatre heures par jour est un art très difficile qui ne s’accommode bien que du régiment ou du couvent. Comment le patron pourrait-il l’exercer lui-même ? Même en ne se risquant qu’à préconiser des méthodes, il s’exposerait à froisser des susceptibilités. A plus forte raison, dans une grande industrie où nécessairement il ne peut réaliser les intentions que lui dicte son cœur que par des intermédiaires, blesserait-il facilement cet esprit d’indépendance frondeuse de notre race, avec lequel il faut compter et qui n’est pas sans beauté » confie t-il.

 

Une ville dans la ville

 

Le message est clair : faute de pouvoir maîtriser la vie de ses agents, la Compagnie du Nord doit les conduire à la maîtriser eux-même. Elle doit les conduire à l’autogestion d’une vie sociale conforme à celle qu’elle attend d’eux. Encore lui faut-il réunir les conditions de cette vie sociale autonome : son organisation spatiale, ses équipements collectifs, ses logements qui sont autant d’espaces intimes constitutifs de la collectivité…

A contre-pied de la ville engloutie sous les vagues de ruraux déracinés portées par les courants de la révolution industrielle, la cité modèle de Raoul Dautry ne peut être qu’à l’image de la ville antique qui scelle la communauté de destins d’individus entre eux et avec leur environnement.

Elle ne peut être que cette «  cité merveilleuse » décrite en avril 1926 dans Je sais tout.

Le rédacteur n’y dissimule rien de l’enthousiasme qui le gagne devant le plan simultanément « simple » et « grandiose » de « la nouvelle cité de Tergnier » : « Une grande ellipse, entre deux cercles, émettant tout un rayonnement de voies régulières et spacieuses… »

Et ce qu’il relate de son transport sur le terrain ne laisse poindre aucune ombre de nuance sur son jugement : « Quelle grâce et quelle fantaisie dans toutes ces maisons ! Chacune est entourée de son jardin. Point de murs, mais des clôtures de fil de fer tendu sur de sveltes poteaux de ciment armé peints en blanc. Ainsi, la cité-jardin semble toute entière un immense parc, rempli de fleurs, de légumes et – bientôt – d’arbres verdoyants. Que nous sommes loin des mornes régions industrielles du Nord classique, de leurs noirs corons et de leurs cités-casernes ! »

« Dans sa plus simple expression », poursuit-il, « chacun des logements se compose d’une salle commune, d’une chambre à coucher pour les parents, d’une chambre pour les garçons et d’une autre pour les filles. Les familles plus nombreuses disposent d’une ou deux chambres supplémentaires. Parfois, la salle commune- de vingt mètres carrés au moins- s’adjoint une cuisine. Parfois encore, la salle à manger est en même temps salon ou, comme on dit, living room. »

En pleine reconstruction, le reportage ne saurait naturellement éluder l’aspect technique du chantier. « Pour édifier ces villas, on a utilisé l’aggloméré de sable ou de gravier, et quelquefois la brique. Les agglomérés sont creux, de façon à contenir une couche d’air isolant ; et, dans le même dessein, les murs de brique ont une double cloison. Ajoutez que leur style représente une centaine de types divers ; que d’ailleurs ces types se modifient suivant le nombre de logements qu’ils contiennent ; que l’orientation des maisons est constamment différente ; que leur peinture, extérieure comme intérieure, effectuée selon les modernes procédés Stic-B, comporte les tonalités les plus variées ; et vous aurez une idée de la gaieté prodigieuse de cette cité-jardin. »

 

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17 octobre 2010 7 17 /10 /octobre /2010 15:13

Raoul-Dautry-copie-1.jpg« Sous les traits idéalistes du Technocrate de la République se dévoile progressivement un avant-gardiste » annoncions-nous lors de notre dernière étape du voyage sur les traces de Raoul Dautry.

De fait, la déclinaison de ses principes d’ordre général au cas particulier de la compagnie des Chemins de fer du Nord est en soi novatrice et, qui plus, est, efficace.

Consacrant dans Métier d’homme, un chapitre à l’exemple des Cités-jardins du Nord, Dautry en veut pour preuve que « l’on meurt moins dans les cités que dans les agglomérations voisines. »

Les chiffres en attestent : en 1921, année de l’inauguration de la cité modèle de Tergnier, on y enregistre 75 naissances et 3 décès d’enfants de moins d’un an soit un taux de mortalité infantile de 4% contre 39% dans le reste de l’agglomération Tergnier, Fargnier, Vouel où sont enregistrées 94 naissances et 37 décès d’enfants de moins d’un an.

Au passage, les chiffres attestent d’une autre réalité : non seulement on meurt moins dans la cité cheminote de Tergnier mais de surcroît, on y naît plus.

L’exemple ternois n’a rien d’un cas isolé. Le taux de natalité des 32 cités édifiées par la compagnie du Nord entre 1919 et 1921 est en 1923 de 3,9% sur les cinq départements de l’Aisne, de l’Oise, du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme. C’est 0,8% de plus que le taux de natalité global de ces cinq départements et presque deux fois plus que le taux de natalité national qui est de 2%.

« Tout ce qui aurait pu rappeler l’ancien coron a été banni » martèle Raoul Dautry lors des conférences sur les Cités-jardins du Nord qu’il multiplie entre 1921 et 1926. « Une voirie soignée, des rues aux tracés souples et variés, des logements sans cohabitation ni communauté d’aucune sorte, tous d’au moins quatre pièces et aussi souvent de cinq et de six pièces que le nécessite le nombre des familles nombreuses, une construction aussi parfaite comme qualité qu’on a pu l’obtenir dans les régions dévastées, très diverse comme façades, silhouettes et peintures ; de larges fenêtres bien orientées ; des jardins de 4 à 5 ares par famille, de grands squares publics et des stades de jeux, des locaux communs nécessaires à la croissance physique et intellectuelle et à l’hygiène des habitants ; des arbres, des fleurs, l’eau à discrétion, le tout-à-l’égout, l’éclairage électrique et enfin un loyer modéré de 750 francs par an en moyenne… » : ainsi décrit-il ces cités dont il fonde paradoxalement le fonctionnement sur un cloisonnement du travail et de la vie privée. « Au travail, il y a le subordonné et le chef, les devoirs et le salaire ; il faut qu’il y ait discipline et commandement énergique. A la maison et dans la cité, il n’y a plus que des citoyens, qui collaborent non par obligation mais par goût, des individus qui perdraient leur dignité de chefs de famille et d’hommes libres s’ils vivaient de dons, de charité, et ne payaient pas de leurs deniers leur hygiène, leurs plaisirs et ceux de leur famille » explique t-il.

 

Maslow avant l'heure

 

A la satisfaction des besoins les plus élémentaires et des aspirations à la sécurité, Raoul Dautry intègre celle de l’estime de soi et de la reconnaissance sociale. « Les aptitudes et les qualités sociales ne sont pas nécessairement fonction du grade administratif » prévient-il. « On s’est donc seulement efforcé de déposer le ferment généreux des œuvres de mutualité, d’hygiène, de culture physique, artistique et musicale… dans ces immenses réservoirs d’énergie, d’initiative, de bonne volonté, de bon sens et de dévouement que sont les cités avec leurs agen,ts de tous grades et de toutes fonctions. Ensuite, soit par de petites subventions, soit surtout en servant de liens entre les cités et les sociétés, où les généreux dévouements individuels se donnent pour but l’hygiène de l’enfance, l’enseignement, les arts, le sport, le jardinage, l’assistance aux malades, on a fourni à la fermentation la température la plus favorable. Cette méthode nouvelle, hardie, qu’on a qualifiée de «  communisme »- pour accabler de ce mot ses inspirateurs – s’oppose donc complètement à la méthode des œuvres qui, mésestimant l’individu, le dispense de l’effort, et l’habitue à la passivité.»

Tout est dit ; ou presque car le système Dautry ainsi exposé ne résisterait pas à l’épreuve du temps sans l’implication de ses principaux acteurs. « Un Triumvirat central, dit Comité de gestion des cités, qui fonctionne en dehors de tout service et n’a aucun caractère administratif, inspire et stimule les initiatives locales relatives aux œuvres d’enseignement et d’hygiène, aux fêtes, à la décoration des cités ; il distribue des crédits d’édilité, les augmente ou les réduit selon que la cité est bien ou mal gérée » précise t-il.

« D’autre part, dans chaque cité de plus de cinquante logements, un Conseil d’administration composé de trois fonctionnaires nommés par le Comité de gestion et d’agents élus par leurs camarades, à raison d’un membre par cinquante ménages, constitue un véritable conseil municipal. »

Les enjeux de sa cité modèle, Dautry les résume en quelques phrases : «  …si les maisons sont la création de la Compagnie, la cité est l’œuvre de ceux qui l’habitent. Une mentalité nouvelle d’initiative cordiale et de raison pratique se crée qui est en harmonie avec nos méthodes et nos moyens de travail. Des volontés s’affirment, des consciences s’épurent, et ce sont là les résultats moraux les plus grands que nous pouvions espérer. »

D’autres que Raoul Dautry s’intéresseront également à ces enjeux. On songe en particulier au psychologue Abraham Maslow et à sa fameuse pyramide des besoins humains qui imprégna en profondeur et imprègne toujours les fondements de la gestion des ressources humaines.

Très schématiquement, la motivation humaine est assujettie selon lui à la satisfaction de différentes catégories de besoins hiérarchisées selon une structure pyramidale dont chaque niveau supérieur ne saurait regrouper des besoins durablement satisfaits hors de la satisfaction préalable des besoins situés au niveau inférieur.

Au premier niveau, Maslow associe les besoins les plus élémentaires : manger, boire, dormir dans de bonnes conditions.

Au deuxième niveau, il situe les aspirations à la sécurité puis, au troisième niveau, la reconnaissance sociale.

Au quatrième niveau, il place l’estime de soi et au cinquième niveau enfin, l’implication et le goût de l’effort.

La similitude avec les vertus que Dautry prête à ses cités est ici frappante. Une nuance majeure pourtant, mérite d’être relevée : l’époque. En inaugurant en 1921 sa cité modèle de Tergnier, Raoul Dautry l’ingénieur précède de vingt-deux ans la publication en 1943 de la théorie de la motivation du psychologue Abraham Maslow.

Heureux hasard ? Cela paraît d’autant moins probable que – nous le verrons dans nos prochains billets – non content de devancer sur le terrain une application majeure de la psychologie, Raoul Dautry devancera largement également dans sa conception de la cité modèle de Tergnier quelques applications majeures de la sociologie.

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5 octobre 2010 2 05 /10 /octobre /2010 16:32

On a tant présenté Dautry «  le technocrate de la République » comme un pragmatique prompt à tirer en toute situation le meilleur parti – autant dire comme un habile opportuniste – que l’on passerait presque à côté de l’idéalisme qui l’habite.

Cet idéalisme, il le revendique sans ambiguïté dans Métier d’homme, au terme d’un chapitre intitulé Production industrielle et collaboration sociale. « Il ne tient qu’à nos intelligences, à nos cœurs et à nos bras, de donner au monde les modèles de l’Homme moderne, de la Cité moderne et de la Nation moderne qu’il attend » clame t-il.

L’Homme moderne, c’est le cheminot et sa famille, travailleur rigoureux et solidaire de ses collègues, qu’il installe dans sa Cité moderne érigée aux portes de Tergnier, telle un prototype élaboré sur la base de nouveaux rapports du capital et du travail à l’intention d’un état moderne centré sur l’homme ; pas sur l’homme tel que rêve qu’il soit tel ou tel groupe de pression mais sur l’homme tel qu’il est depuis toujours avec ses passions, ses désirs, ses besoins, ses joies et ses peines qui n’appartiennent à aucune classe en particulier.

Dautry justifie sans fausse pudeur en 1937 à propos de sa conception du métier d’ingénieur sa profonde aversion pour la lutte des classes qui prospère durant le premier tiers du XXe siècle sur les cendres d’un ultra libéralisme dont il prétend qu’il «  est mort ».

« Il est futile de diviser artificiellement l’humanité en classes sociales » affirme t-il. Pour lui, « il n’y a, à la vérité, que des classes d’hommes. La moins noble est celle des égoïstes dont toute l’ambition est d’assurer leur seule vie matérielle. Au dessus d’eux, sont ceux qui créent une famille, la font vivre, la dirigent, avec un plein sens des responsabilités qui s’y engagent. Tout en haut de l’échelle, je situe ceux qui, non content de conduire fructueusement, et si possible harmonieusement, leur vie et celle de leurs proches, donnent une part de leur activité et de leur pensée au bien social et agissent en ne perdant jamais de vue l’intérêt général. Ceux-là forment une élite qui comprend des hommes venus de tous les points de l’horizon du travail, de toutes les formations et de tous les niveaux. »

 

L'Homme au centre

 

Là apparaissent en filigrane les contours du « paradoxe Dautry » : c’est dans ce qu’il y a de permanent, voire d’immuable, chez l’homme par delà les conjonctures, les époques et les enjeux du moment, que Dautry cherchent les fondements d’une amélioration du sort des Cheminots, de ses contemporains et au delà, de l’humanité entière.

Le genre humain, dans les propos de Dautry, s’affiche au centre de toute préoccupation sous les traits du plus grand dénominateur commun qui exclut toute forme d’antagonisme.

L’ingénieur dénonce avec la même verve «  les chefs d’entreprises imprudents et égoïstes, les spéculateurs sans scrupule, les travailleurs manuels ou intellectuels plus envieux que consciencieux » qui à des degrés divers, doivent être tenus selon lui pour solidairement «  responsables des erreurs qu’expient le monde ».

Et si d’aucun avait encore quelque hésitation à se reconnaître dans l’une ou l’autre des catégories dénoncées à la vindicte publique, Dautry les y aide en zoomant sur les détails du tableau : « Quand des hommes manquent du nécessaires devant des machines qui font, en une heure, le travail qui demandait huit jours il y a cinquante ans, notre devoir n’est d’écouter ni ceux qui veulent entretenir les rivalités, les jalousies, les conflits, ni ceux qui veulent développer une production malsaine par un machinisme excessif, ni ceux qui veulent détruire la machine qui a libéré l’homme. »

Le message de Dautry est clair : il n’entend laisser à aucun groupe de pression l’opportunité de prendre l’ascendant sur un autre. « Il ne s’agit ni de rétablir les galères pour donner du travail aux hommes, ni de construire des outils inutiles, ni de rendre des prix de revient prohibitifs, ni d’entretenir des discordes vaines, mais d’utiliser à des fins humaines la science, le capital, la machine et le travail » résume t-il en une formule dont l’écho se fracasse quatre-vingts ans plus tard sur l’actualité.

Car les propos qu’il tient en 1937 dans Métier d’homme dont il fait une sorte de bréviaire de « politique pratique », en témoignent : l’alternative à la lutte des classes qu’il expérimente dans sa cité modèle de Tergnier se nourrit bien plus d’un idéalisme dont l’évolution du monde a préservé toute la pertinence que du seul désir de servir au mieux les intérêts de la Compagnie du Nord.

 

Mêmes causes, mêmes effets, 73 ans plus tôt

 

De cet «  idéalisme dont l’évolution du monde a préservé toute la pertinence », on retiendra quelques manifestations de nature à rendre à l’Histoire toutes les vertus dont s’affranchit l’homme pressé que combat déjà Dautry.

A propos de la réduction du temps de travail d’abord : « Elle sera peut-être utile, mais ne sera certainement pas suffisante car, actuellement, en pleine crise, chaque jour des fabrications sont crées qui se passent à peu près complètement de main d’œuvre… Par la puissance illimitée de la technique, on pourra surproduire demain, aussi aisément en 10 heures qu’en 48. L’histoire économique des trente dernières années prouve suffisamment que malgré la diminution progressive de la journée de travail, la production a augmenté à une cadence sans rapport avec le nombre des hommes et souvent sans rapport avec les besoins des hommes… »

A propos de la mondialisation… « J’ai connu ce temps où le Chemin de fer, heureux de chiffrer dans des statistiques annuelles l’accroissement constant du nombre des voyageurs et des tonnes de marchandises, allongeait ses rails comme si cet accroissement devait être indéfini… En France : 25400 kms en 1880, 58000 en 1929. Mais il y a une limite au nombre des voyages et le chemin de fer s’en approche maintenant que l’automobile est venue, et bientôt l’avion. Il en ira de même pour tous les outillages et toutes les productions de l’Europe car les pays hier endormis à l’ombre des sabres de Samouraïs commencent à produire des montres à 37Fr le kilo et des bicyclettes à 48 Fr la pièce. »

Et d’enchaîner sur une hypothétique remise en cause des acquis sociaux : «… De tels symptômes signifient que le libéralisme économique absolu est mort. Il ne pourrait revivre sans ramener le niveau de vie des pays de haute et vieille civilisation, comme le nôtre, au niveau de vie des populations les moins évoluées ».

A propos de la «  valeur Travail » ensuite : « Trente millions de chômeurs dans le monde nous offrent aujourd’hui le spectacle paradoxal de la misère dans l’abondance et soulignent la cruauté qui résulte du désordre de nos systèmes économiques… N’est-ce pas une tâche qui s’impose d’urgence, dans tous les pays et à tous, de faire ce qu’il faut pour assurer à tous les être humains les conditions nécessaires à une vie matérielle et à une vie spirituelle plus digne. Donner à l’ouvrier la possibilité de vivre, en même temps que des raisons de vivre. »

A propos de la citoyenneté et de l’identité encore : « Quand, par une collaboration plus étroite des intérêts et des ambitions légitimes, la Nation aura assuré à tous ses fils une vie moins défiante, moins hargneuse, moins heurtée et finalement plus heureuse, elle pourra plus facilement se pencher sur leur esprit et sur leur âme et leur proposer un idéal de vie qui ait quelque grandeur. Car autant que le redressement des choses, importe le redressement des esprits. Au moment où une réorganisation nationale doit être entreprise dans l’effort et le sacrifice, un problème de foi et d’éducation se pose : on ne se bat bien que pour ce que l’on aime, on n’aime vraiment que ce que l’on connaît. »

A propos du rôle de l’Etat enfin : « Tout prouve que c’est seulement dans une discipline qui s’appliquera à l’organisation de la production et de la répartition et dans un effort intelligent et tenace pour abaisser réellement le coût de la vie, améliorer le logement, développer l’instruction, favoriser l’utilisation des loisirs, que nous pourrons, à n’en pas douter, donner à l’homme la santé, l’équilibre et le bonheur. Seul un Etat indépendant arbitrant en fin de compte des intérêts cohérents qui s’efforceront d’abord de s’harmoniser, de se contrôler d’eux mêmes, pourra sous les deux signes non contradictoires de la liberté sans licence et de l’autorité sans brutalité, réaliser cette discipline et cette limitation ».

La voie qu’il indique, souligne t-il, n’est pas nouvelle. Il en veut pour preuve les mesures d’encadrement mises en œuvre au sein des corporations sous le Moyen-âge.

Là encore s’exprime le « paradoxe Dautry » qui consiste, pour cet ardent défenseur de «  la machine qui a libéré l’homme » à ne voir d’issue à la crise que dans «  le refleurissement de la sagesse ancienne » grâce auquel « le Français saura, après avoir un moment oublié pour des idéologies et des chimères, comment, pourquoi et avec qui il vit, reprendre conscience de lui-même et retrouver la hiérarchie des vraies valeurs. »

Si 73 ans ne s’étaient pas écoulés depuis qu’il tint ces propos, on jurerait que Dautry est l’un de ces chantres de la Décroissance dont on vérifiera sans peine dans la vidéo ci-jointe le lien de parenté intellectuelle.

Sous le voile idéaliste du Technocrate de la République se découvre progressivement un avant-gardiste.

 

 

 

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23 septembre 2010 4 23 /09 /septembre /2010 14:06

agriculture-Daniel.jpg

 

La photo n'est pas d'excellente qualité mais elle suffit à témoigner de la réalité de l'état de modernisation de l'agriculture dans le canton de La Fère dont dépendait Tergnier en 1930. Au passage, on ne le reconnaîtra pas forcément mais le petit blondinet du premier plan n'est autre que notre guide Daniel Druart.

 

 

L’aversion naturelle de Raoul Dautry est assurément à l’origine de l’un des traits les plus controversés du personnage.

Dans Le technocrate de la République, Rémi Baudouï évoque volontiers " la lutte contre le syndicalisme" menée par le fondateur de la cité. "Les cités-jardins ne sont pas arrivées à bout du syndicalisme révolutionnaire placé sous le parrainage de Lénine et Trotsky" écrit-il non sans rappeler au passage le bannissement des réunions syndicales de l’enceinte ferroviaire.

De là à déduire que Dautry se fait l’ennemi de l’amélioration du sort de la classe ouvrière, il y a pourtant un pas à ne pas franchir tant son positionnement dans son époque se dévoile sous un jour autrement plus complexe à la lecture de ses propos.  "La vie qui est faite à beaucoup d’hommes est une constante injure à leur dignité, une perpétuelle méconnaissance des conditions nécessaires à leur santé et à leur bonheur" affirme t-il dans Métier d’homme, un ouvrage paru en 1937 chez Plon sous forme de recueil d’allocutions prononcées au cours de sa vie professionnelle.

La phrase ici rapportée est en l’occurrence extraite d’une allocution prononcée en 1935 devant les médecins du réseau de l’Etat mais on en trouve bien d’autres dans cet ouvrage, qui attestent de sa détermination à lutter non pas contre l’un ou l’autre des acteurs de la lutte des classes qui s’installe, mais contre les causes de cette lutte des classes.

"Il faut sortir de l’anarchie économique qui nous démoralise et nous affame, de l’anarchie intellectuelle et spirituelle qui nous déchire. Il faut repenser tous les problèmes en fonction de notre temps, éliminer les antagonismes artificiels et destructeurs qui nous séparent, concilier les divergences naturelles toutes fécondes en vue de nos activités " déclare t-il le 7 janvier 1934 devant la Société industrielle de Saint-Quentin.

Le message de Dautry est aussi clair qu’enraciné dans son action: il ne veut plus être le spectateur impuissant d'une farce semblable à celle qui se joua sous ses yeux à Polytechnique déchirée par l’affaire Dreyfus alors même que la prestigieuse école, dépassée par les évolutions techniques et la révolution industrielle, était sur le point de faillir à sa mission première de formation de l’élite des appareils de la Nation.

Dautry ne veut pas soutenir ou combattre telle ou telle partie en présence; il veut dépasser les conflits potentiels pour réunir les parties autour de l’objectif commun qui leur est assigné ; un positionnement qui rappelle à point nommé que l’ultra libéralisme alors combattu par le syndicalisme grandissant n’a pas eu plus droit de cité dans le quartier cheminot de l’agglomération ternoise que le syndicalisme lui-même.

Reste que la réunion des parties autour d’un objectif commun doit s’accommoder au sein du réseau du Nord d’une situation périlleuse car l’antagonisme que condamne Dautry s’y développe sur le terreau fertile de la frustration.

La résurgence à la ville et dans l’Industrie de la misère qu’elles ont fuie dans l’abandon de leurs racines est pour les populations d’origines rurales une source de résignation à la dégradation de leur condition humaine ou au contraire, sous l’impulsion du syndicalisme qui agit comme un puissant catalyseur, le ferment d’une révolte sociale qui confine à la contre révolution industrielle.

 

Les ruraux se rebiffent

 

Les anciens ruraux l’ont compris : en accourant à l’Industrie pour fuir la précarité croissante de leurs modes de vie ruraux, ils se sont réfugiés sous l'aile de la cause de leur désarroi. L’ère industrielle n’a pas seulement ouvert les portes d’un nouveau monde parallèle au leur ; il a englouti le leur. Les populations rurales sacrifiées sur l’autel du modernisme ne sauraient se résigner à l’être une seconde fois sur celui du profit.

" La révolution industrielle ne conquiert pas les campagnes par les méthodes qu’on pourrait a priori imaginer : le facteur technique est nettement second…. Seules les régions qui ont sélectionné leurs produits, valorisé leur capital d’exploitation, répondu à un appel du marché, exploité rationnellement le travail, peuvent ensuite accroître leur avance et leur capacité de production par le progrès technique qui, d’ailleurs, ne s’adapte bien qu’à elles"  écrit à ce sujet Jean-Pierre Rioux, agrégé d’Histoire, dans La révolution industrielle 1780-1880 (Editions du Seuil, collection Point, 1971).

"Les sacrifiés des campagnes, ces artisans, ces manouvriers, ces petits propriétaires, ces jeunes, nous les retrouvons en ville, plus ou moins vite adaptés à leur nouveau travail et à la vie urbaine, amer ou nostalgiques, happés par un monde industriel qu’ils connaissent mal et auquel leurs enfants n’échapperont pas" ajoute l’historien.

Cette réalité sociale a si durablement marqué les consciences cheminotes que René Poulet, une figure ternoise de la Vapeur alors président de l’association Le toit du cheminot, s’en souvenait encore en mai 2008 lorsqu’on lui demandait ce qui, dans le mouvement social de mai 1968 à Tergnier, l’avait particulièrement frappé : "les conditions de vie des ouvriers agricoles!" avait-il répondu sans détour. " C’était la misère et en tant que cheminots, nous ne pouvions rester indifférents car nous comptions dans nos rangs beaucoup d’anciens ouvriers agricoles. C’est que la vapeur, c’était pas facile ! il n’y avait pas toujours de candidats alors la SNCF recrutait des gens qu’il fallait former certes, mais qui étaient prêts à bosser durement pourvus qu’ils gagnent leur croûte".

Ses souvenirs sont allégrement étayés par les statistiques démographiques établies en 1945 sur le département de l’Aisne par l’inspecteur de l’enseignement primaire J. Ferry : la population rurale du canton de La Fère auquel était à l’époque rattachée l’actuelle agglomération ternoise, était en 1936 cent neuf fois inférieure à celle de 1836 alors que la population ternoise enregistrait dans le même temps une hausse de 1688%, celle de Quessy une hausse de 868%, celle de Fargniers une hausse de 524% et celle de Vouel enfin, une hausse de 445%.

Le secteur rural se meurt, la ville explose et au regard des commentaires formulés par Gaston Lhérondelle en 1923 sur le cercueil de l’ancien maire de Tergnier Gustave Grégoire, on sait que la ville cheminote n’est encore à l’aube du nouveau siècle qu’un "village boueux."

Selon quelles options Raoul Dautry a t-il choisi de s’attaquer à la résolution de cette périlleuse équation ?

Celles qui, selon lui, militent en faveur de l’avènement d’une " science de l’Homme" dont il plaide encore la cause dans Métier d’Homme évoquant son allocution aux médecins du réseau de l’Etat deux ans plus tôt.

"C’est notre ignorance de nous-mêmes qui a donné à la mécanique, à la physique et à la chimie le pouvoir de modifier au hasard les anciennes formes de la vie", martèle t-il, citant le Docteur Alexis Carrel, de l’Institut Rockfeller de recherches médicales qui en 1935, avait publié un ouvrage intitulé L’Homme, cet inconnu.

Pour Raoul Dautry, " l’Homme devrait être la mesure de tout alors qu’il est un étranger dans le monde qu’il a créé. Il n’a pas une connaissance positive de sa propre nature. L’énorme avance prise par les sciences des choses inanimées sur celles des êtres vivants est un des évènements les plus tragiques de l’histoire de l’humanité."

Un constat qui s’appuie de façon frappante sur le sens donné par Irène Mainguy à la métaphore du "passage de la perpendiculaire au niveau" : "C’est après être passé par le stade d’une descente intérieure, dans nos zones d’ombre ou ténèbres intérieures, pour les identifier et les accepter par une réelle connaissance, que l’on pourra remonter jusqu’au niveau horizontal de la terre, lieu ou centre d’un axe formant une croix, à partir duquel on entreprendra d’approfondir tous les aspects de la dimension terrestre."

Autrement dit : avant de construire, avant de produire, de quoi l’Homme est-il fait ? De quoi a t-il besoin ? Sur quoi peut-il s’appuyer ?

 Nous avions une métaphore du fil à plomb; nous voilà avec une ligne directrice.

 

Rene-Poulet.jpg

René Poulet; ici dans sa tenue de Confrère des Maqueux d'saurets le 30 mai 2008, se souvenait très bien des liens particuliers qui unissaient encore en 1968 les Cgeminots avec le monde rural. Hélas pour la culture cheminote dont il demeura jusqu'au bout à Tergnier l'un des piliers, il devait disparaître quelques mois plus tard; fin septembre 2008 très exactement. Il y a tout juste deux ans aujourd'hui.

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17 septembre 2010 5 17 /09 /septembre /2010 14:36

Gregoire 1Les propos tenus par Gaston Lhérondelle " au nom de tous les frères de la loge Proudhon" lors du rapatriement du corps de Gustave Grégoire en mars 1923 en disent long à la fois sur les conditions dans lesquelles Tergnier fit face au brusque afflux de population cheminote et sur la réalité de l'activité maçonnique locale de l'époque.

 

" Tergnier a toutes les bonnes raisons à l’aube du XXe siècle de faire siennes les préoccupations liées aux capacités d’une ville à offrir devant un brusque afflux d’habitants un cadre de vie adapté " écrivions-nous dans notre précédent billet. Et pour cause : la population de Tergnier passe de 258 habitants lors de la première révolution industrielle - celle du textile - à plus de 3000 lorsque, au milieu du siècle éclate la deuxième révolution industrielle, cette fois celle de l’acier ; une hausse démographique de l’ordre de 1200% en à peine plus de trente ans soit d’une génération à l’autre !

Encore n’est-il question là que de la seule commune de Tergnier car les communes de Quessy, Fargniers et Vouel enregistreront elles aussi , à des degrés différents, de spectaculaires mouvements démographiques.

Dans une Etude de démographie locale destinée en 1944 à épauler les enseignants du département de l’Aisne dans leurs fonctions, J. Ferry, inspecteur de l’enseignement primaire, faisait état " d’une progression constante et très importante du nombre d’habitants des quatre communes réunies ", qualifiant l’agglomération ternoise de "  plus bel exemple pour le département de cité-champignon née du rail. "

Les chiffres sont à l’avenant : 1786 habitants en 1836 ; 1923 en 1846 ; 2227 en 1856 ; 4403 en 1866; 6292 en 1876; 7252 en 1886 ; 7814 en 1896 ; 8682 en 1906 ; 11 796 en 1926; 13642 enfin, en 1936.

A la lumière de cet éclairage décennal, trois périodes se distinguent nettement. La première, de croissance démographique exponentielle entre les pointages de 1846 et 1876, cadre avec la construction de la ligne Creil-Saint-Quentin et des premiers ateliers vers 1850 puis des lignes Tergnier-Laon vers 1855 et Amiens-Tergnier vers 1865.

La deuxième période, de 1876 à 1906, se traduit par une croissance démographique toujours très forte mais moins spectaculaire néanmoins que la précédente ; elle est marquée par l’extension des ateliers.

La troisième enfin, entre 1906 et 1936, est marquée pour une nouvelle accélération de la croissance démographique qui correspond simultanément, après la guerre, à l’édification de la Cité des cheminots et à la réduction de la durée hebdomadaire du temps de travail qui engendre une hausse mécanique de l’effectif des Cheminots.

 

Troublante "future importance"

 

Dans quelles conditions cet afflux " constant et important" de population est-il absorbé?

Sur ce front, la situation est semble t-il nettement moins glorieuse. De cela, on trouvera trace plus tard dans l’oraison funèbre prononcée par Gaston Lhérondelle lors du rapatriement du corps du Docteur Gustave Grégoire, ancien maire de Tergnier de 1896 à 1912, tué dans les Balkans en novembre 1917.

"Il comprit ce que devait être Tergnier dans un prochain avenir et d’un village boueux, insalubre, il voulut faire un pays propre, sain, préparé en vue de sa future importance", affirme t-il.

Au passage, on notera que le journal L’Aisne qui relate la cérémonie funèbre dans le détail dans son édition datée des jeudi 23 et samedi 25 mars 1923, attribue ses propos au conseiller d’arrondissement et maire de Fargniers mais c’est au nom " de tous les frères de la loge Proudhon " que Gaston Lhérondelle s’adresse néanmoins à la famille Grégoire.

Le détail est loin d’être anecdotique car il met en lumière plusieurs interrogations dont la première n’est pas la moindre : à quelle " future importance" de Tergnier Gustave Grégoire pouvait-il songer avant 1912 sous des traits prémonitoires suffisamment précis pour que Gaston Lhérondelle les reconnaissent  comme conformes à la réalité de 1923, sachant que l’évolution la plus notable du tissu urbain intervenue entre temps tient à l’édification de la cité des Cheminots lors de la reconstruction de la ville?

Quant à la deuxième interrogation, elle a plutôt valeur d’indice pour nous qui nous questionnons depuis le début de notre voyage dans le temps sur l’hypothétique référence compagnonnique, voire maçonnique, des symboles décryptés dans la cité des cheminots : les propos de Gaston Lhérondelle "  au nom des frères de la loge Proudhon " fondée par Gustave Grégoire – propos rapportés par le journal l’Aisne qui cite également M. Pavaillon " au nom de la grande Loge de France et de la grande famille maçonnique" - témoignent de l’existence alors, sur l’agglomération ternoise, d’une activité maçonnique qui a pignon sur rue (*).

Ultime remarque dont on ne sait, à ce stade de nos investigations, s’il faut ou non lui attribuer un caractère anecdotique : la loge évoquée par Gaston Lhérondelle sur le cercueil de Gustave Grégoire porte le nom de Pierre Proudhon dont la pensée marqua en profondeur l’action des pionniers français de la Première internationale socialiste, partisans d’un modèle social et économique fondé sur une fédération de coopératives.

La coopération ? Voilà qui devrait raviver quelques souvenirs dans les rangs de celles et ceux qui vécurent l’âge d’or de la cité.

Notre parcours sur les traces de Raoul Dautry s’ouvre décidément sans cesse sur de nouvelles pistes à défricher. Dans notre prochain billet, nous nous engagerons sur celle que Dautry justement, a choisi d’emprunter pour tenter de préserver la compagnie du Nord de l’antagonisme d’une lutte des classes.

 

(*) : C’est cette activité maçonnique ayant pignon sur rue que Daniel Druart évoquera ce dimanche 19 septembre dans le cadre des journées du patrimoine. Le rendez-vous est fixé à 14 heures sur la place de l’hôtel de ville et, comme toujours, la visite est gratuite.

 

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8 septembre 2010 3 08 /09 /septembre /2010 17:30

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Octobre 1910: la grève des cheminots devient une affaire d'Etat qui du coup, en appelle à la troupe. Au passage, on notera que la sémantique de l'époque se rapporte à un "sabotage de machines" alors que - la photo en atteste-, seul le tender est renversé. (Photo collection Jean-Claude Allain)

 

Si le conflit d’octobre 1910 est, selon les termes de Rémi Baudouï, un " choc traumatique " qui ébranle en profondeur les certitudes de la direction du réseau, c’est qu’il révèle à l’intention l'ensemble de la classe industrielle dirigeante une réalité autrement plus menaçante à long terme que la seule asphyxie ponctuelle de l’économie par le gel des transports : le syndicalisme forme désormais une vague assez puissante pour lui contester le pouvoir d’imposer son modèle de société.

La peur du syndicalisme se nourrit  chez  les "barons de l’industrie" de souvenirs prégnants.

N’est-ce pas la crise de 1866-1867 qui, en mettant l’accent sur les effets secondaires de l’internationalisation des capitaux, leur fait mettre au compte de l’internationale socialiste l’initiative des mouvements de grève qui se multiplient jusque 1868 ?

Et cette Internationale socialiste, ne prône t-elle pas la conquête du pouvoir par les travailleurs afin de combattre dans l’œuf la dégradation des conditions d’existence de la classe ouvrière depuis les révolutions européennes de 1848, conformément au texte fondateur de Karl Marx de 1864 ?

N’est pas d’autre part à Paris même que naquit en 1889 la 2e internationale socialiste sur les cendres d’une première expérience que l’on croyait définitivement enterrée par le duel fratricide de Marx et Bakounine douze ans plus tôt ?

N’est-ce pas depuis leur congrès de Paris de 1900 enfin que les tenants d’une lutte ouverte des classes s’opposent au sein de cette 2e internationale aux partisans d’un "  noyautage " du libéralisme sous la pression des masses, dans un combat dont l’Industrie telle qu’elle existe alors est dans tous les cas de figure la grande perdante ?

Une chose est sûre : à la veille de la première guerre mondiale soit vingt ans seulement après sa renaissance, l’internationale socialiste revendique plus de 3,3 millions d’adhérents, plus de 7 millions de coopérateurs liés à ses différentes composantes politiques et plus de 10 millions de travailleurs syndiqués.

On est loin des 25 à 28000 ouvriers maximum rassemblés pour l’essentiel en Grande Bretagne sous l’aile encore frêle de la 1ere Internationale lors de son premier congrès à Genève en 1866.

Arraché à sa culture rurale par l’attraction des centres industriels, l’ouvrier n’est plus un individus isolés qui se débat dans sa misère.

 

Une alternative à l'isolement

 

Au delà de la révolte des ouvriers du rail apparaissent dans ces conditions en filigrane les prémices d’une véritable révolution culturelle dont nul ne sait encore où elle mènera. Aux grands troubles, les grands moyens : Briand fait occuper les gares par l’Armée de même qu’il a déployé au moi de mai précédent plus de 20000 soldats dans la capitale pour s’opposer au meeting de la CGT dans le Bois de Boulogne.

C’est que l’ordre économique et social institué par les barons de l’Industrie tient à l’isolement des individus dans leurs sphères privées respectives soumises au contrôle de la " République des notables " par l’intermédiaire de sa " police des familles ".

Mais l’homme n’est pas spontanément versé vers l’isolement. Il est un mammifère dont la hiérarchie sociale naturelle s’apparente probablement plus au modèle de la meute articulé autour de la distribution des fonctions, qu’au modèle familial mononucléaire régi par les rapports de filiation.

Coupés de leurs racines rurales traditionnelles, isolés dans la fange urbaine qui les dissout dans la masse plus qu’elle ne les accueille, les individus tendent naturellement à se rapprocher mutuellement pour former de nouveaux groupes, de nouvelles meutes, pour se forger de nouveaux repères identitaires. C’est sur ce terreau que croît le syndicalisme.

Selon l’historien Christian Chevandier cité par Laurent Thevenet, conseiller technique au service régional d’action sociale des régions de Paris dans Aux origines de l’action sociale (Editions ERES 2001), "  La syndicalisation n’est pas inscrite dans une seule stratégie qui ne serait que revendicative. Une stratégie personnelle est à prendre en compte. "

Or Tergnier, comme nous le verrons dans notre prochain billet, a toutes les bonnes raisons à l’aube du XXe siècle de faire siennes ces préoccupations liées aux capacités d’une ville à offrir devant un brusque afflux d’habitants un cadre de vie adapté.

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 La gare de Tergnier occupée par l'Armée dont on aperçoit au second plan les chevaux. (Photo collection Jean-Claude Allain).

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29 août 2010 7 29 /08 /août /2010 18:59

greve-1910a-copie-1.jpgRompu de par son expérience personnelle au dépassement des antagonismes, Raoul Dautry est probablement mieux armé que d’autres pour ne pas se laisser enfermer dans le dualisme qui, ouvrant le nouveau siècle, annonce la fin d’une époque.

Inspecteur attaché au service des bâtiments, il fréquente certes quelques unes des plus illustres figures de la vie parisienne mais il doit ce privilège à son intégration dans le cercle de la famille Heugel ; après sa journée de travail au réseau du Nord qui ne lui suffit plus à "  joindre les deux bouts ", il y exerce les fonctions de professeur particulier du fils Jacques qui deviendra l’un de ses plus fidèles amis.

C’est ce Raoul Dautry là, cadre contraint de cumuler les emplois pour assurer à sa famille des conditions de vie décentes, qui entre dans la fleur de l’âge de ses trente ans lorsque éclate en octobre 1910 sur le réseau du Nord un conflit qui devient bientôt une affaire d’état et en même temps un signal d’alarme pour le grand patronat du rail.

Le 8 octobre 1910 très précisément, la contestation éclate aux ateliers de La Chapelle.

Principale revendication : les salaires.

Devant le mutisme de leur direction, les ouvriers, rejoints par leurs collègues du dépôt, cessent le travail.

" La conjoncture est idéale pour les syndicalistes" note à ce sujet Rémi Baudouï dans Raoul Dautry, Le technocrate de la République. " Le système d’exploitation intensive développé par Albert Sartiaux a bouleversé les conditions de travail des agents de la Compagnie du Nord. L’autoritarisme bureaucratique et la gestion quasi militaire de la Direction suscitent, depuis plusieurs années, leur rancœur. "

 Un témoignage extrait d’un texte de Michel Plouviez diffusé sur le site Anciens apprentis du rail témoigne de la lourdeur du climat social de la Compagnie du Nord à cette époque : " Propriété de la famille Rothschild, il régnait dans la compagnie une atmosphère peu propice à la contestation. La grande grève de 1910 qui s'ajoutait à deux autres catastrophes: la grande crue des fleuves et rivières et la naissance de ma mère, a entraîné des milliers de licenciements chez les cheminots: la voisine de mes grands-parents rue Carnot à Nogent en est tombée raide à l'annonce du licenciement de son mari......les temps ont bien changé.......!
Dans ce climat social très dur, la mode de l'époque était d'utiliser d'anciens sous-off. d'active comme surveillants et il était souvent nécessaire de les rappeler à une prudence mesurée dont l'instrument pouvait être une clé de 40 glissant par inadvertance du haut de la " loco " mais par chance à 30cms au minimum des talons du mâton: les cheminots ayant par essence le goût du travail de précision:'' excusez-moi, chef, mais avec toute cette flotte, ça glisse''.........
Car de la flotte il y en avait: le dépôt ne sera couvert que dans les années 30 et les fosses étaient remplies d'eau en permanence, d'où les douleurs de mon grand-père jusqu'à la fin de sa vie..... si bien qu'un jour, une délégation en colère ayant forcé la porte de l'ingénieur en chef à Paris s'est vu répondre: " mais je ne comprends pas, mes enfants, regardez les plans, la rotonde y est! "...... Que répondre à ça ?? on n'allait pas mettre en doute la parole de Monsieur l'Ingénieur en chef ...!
 "

 

La fuite en avant

 

Dans ce contexte, la grève fait tâche d’huile. Le 11 octobre, le réseau est paralysé ou peut s’en faut. Si quelques trains parviennent encore à circuler, c’est uniquement qu’ils sont conduits par des cadres bientôt contraints eux aussi de rester à quai à cause de sabotages de lignes télégraphiques.

Privée de transport ferroviaire, l’Industrie est au bord de l’asphyxie.

Aristide Briand croit trouver la parade : il convoque les cheminots à une période d’instruction militaire de vingt et un jours à effectuer, à compter du 13 octobre, sur le réseau. Une véritable déclaration de guerre à la grève !

La réaction ne se fait pas attendre : dès le 11 octobre au soir, les cheminots du réseau de l’Etat, ex réseau de l’Ouest, entrent dans le conflit aux côtés de leurs confrères du réseau du Nord.

Dès le lendemain, 12 octobre, plus un seul train ne passe ni par Saint-Lazare, ni par Montparnasse. C’est l’escalade et Briand lui-même joue la carte de la fuite en avant : il fait placer des soldats dans toutes les gares du réseau.

C’est dans cette atmosphère de guerre civile que les premières révocations tombent dès le 13 octobre et que le mouvement de grève s’oriente inexorablement vers la reprise du travail, effective dès le 18 octobre.

Le conflit n’aura duré au final qu’une semaine mais Rémi Baudouï, selon lequel " c'est à Tergnier que la grève fut la plus importante", évoque un " choc traumatique " qui ébranle durablement les certitudes de la Direction du réseau au point de lui remémorer les rapports transmis par ce jeune chef de district de Saint-Denis préconisant une amélioration des conditions de travail ; un certain Raoul Dautry.

 greve-1910b.jpg

Photos présentées par Joël Bevierre dans le cadre de l'exposition " 160 ans de chemin de fer à Tergnier" - mai 2010.

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L'histoire d'une Histoire

 

Vue aerienne

 

 

Ville-champignon érigée autour des rails, Tergnier est une ville que l'on croyait sans autre histoire que celle du chemin de fer et de ses destructions successives par les guerres jusqu'à ce que la curiosité de l'un de ses habitants, ancien épicier, mette à jour des richesses jusqu'alors insoupçonnées venues du fond des âges.  

Sautez dans «  le train en marche » et partager cette formidable aventure humaine aux confins du compagnonnage et de la franc-maçonnerie, dans des registres où se côtoient les applications les plus modernes de la sociologie et les plus anciens rites de fondation des villes, la psychologie et l'économie, l'Histoire officielle et l'actualité d'un passé qui interroge le présent....