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29 août 2010 7 29 /08 /août /2010 18:59

greve-1910a-copie-1.jpgRompu de par son expérience personnelle au dépassement des antagonismes, Raoul Dautry est probablement mieux armé que d’autres pour ne pas se laisser enfermer dans le dualisme qui, ouvrant le nouveau siècle, annonce la fin d’une époque.

Inspecteur attaché au service des bâtiments, il fréquente certes quelques unes des plus illustres figures de la vie parisienne mais il doit ce privilège à son intégration dans le cercle de la famille Heugel ; après sa journée de travail au réseau du Nord qui ne lui suffit plus à "  joindre les deux bouts ", il y exerce les fonctions de professeur particulier du fils Jacques qui deviendra l’un de ses plus fidèles amis.

C’est ce Raoul Dautry là, cadre contraint de cumuler les emplois pour assurer à sa famille des conditions de vie décentes, qui entre dans la fleur de l’âge de ses trente ans lorsque éclate en octobre 1910 sur le réseau du Nord un conflit qui devient bientôt une affaire d’état et en même temps un signal d’alarme pour le grand patronat du rail.

Le 8 octobre 1910 très précisément, la contestation éclate aux ateliers de La Chapelle.

Principale revendication : les salaires.

Devant le mutisme de leur direction, les ouvriers, rejoints par leurs collègues du dépôt, cessent le travail.

" La conjoncture est idéale pour les syndicalistes" note à ce sujet Rémi Baudouï dans Raoul Dautry, Le technocrate de la République. " Le système d’exploitation intensive développé par Albert Sartiaux a bouleversé les conditions de travail des agents de la Compagnie du Nord. L’autoritarisme bureaucratique et la gestion quasi militaire de la Direction suscitent, depuis plusieurs années, leur rancœur. "

 Un témoignage extrait d’un texte de Michel Plouviez diffusé sur le site Anciens apprentis du rail témoigne de la lourdeur du climat social de la Compagnie du Nord à cette époque : " Propriété de la famille Rothschild, il régnait dans la compagnie une atmosphère peu propice à la contestation. La grande grève de 1910 qui s'ajoutait à deux autres catastrophes: la grande crue des fleuves et rivières et la naissance de ma mère, a entraîné des milliers de licenciements chez les cheminots: la voisine de mes grands-parents rue Carnot à Nogent en est tombée raide à l'annonce du licenciement de son mari......les temps ont bien changé.......!
Dans ce climat social très dur, la mode de l'époque était d'utiliser d'anciens sous-off. d'active comme surveillants et il était souvent nécessaire de les rappeler à une prudence mesurée dont l'instrument pouvait être une clé de 40 glissant par inadvertance du haut de la " loco " mais par chance à 30cms au minimum des talons du mâton: les cheminots ayant par essence le goût du travail de précision:'' excusez-moi, chef, mais avec toute cette flotte, ça glisse''.........
Car de la flotte il y en avait: le dépôt ne sera couvert que dans les années 30 et les fosses étaient remplies d'eau en permanence, d'où les douleurs de mon grand-père jusqu'à la fin de sa vie..... si bien qu'un jour, une délégation en colère ayant forcé la porte de l'ingénieur en chef à Paris s'est vu répondre: " mais je ne comprends pas, mes enfants, regardez les plans, la rotonde y est! "...... Que répondre à ça ?? on n'allait pas mettre en doute la parole de Monsieur l'Ingénieur en chef ...!
 "

 

La fuite en avant

 

Dans ce contexte, la grève fait tâche d’huile. Le 11 octobre, le réseau est paralysé ou peut s’en faut. Si quelques trains parviennent encore à circuler, c’est uniquement qu’ils sont conduits par des cadres bientôt contraints eux aussi de rester à quai à cause de sabotages de lignes télégraphiques.

Privée de transport ferroviaire, l’Industrie est au bord de l’asphyxie.

Aristide Briand croit trouver la parade : il convoque les cheminots à une période d’instruction militaire de vingt et un jours à effectuer, à compter du 13 octobre, sur le réseau. Une véritable déclaration de guerre à la grève !

La réaction ne se fait pas attendre : dès le 11 octobre au soir, les cheminots du réseau de l’Etat, ex réseau de l’Ouest, entrent dans le conflit aux côtés de leurs confrères du réseau du Nord.

Dès le lendemain, 12 octobre, plus un seul train ne passe ni par Saint-Lazare, ni par Montparnasse. C’est l’escalade et Briand lui-même joue la carte de la fuite en avant : il fait placer des soldats dans toutes les gares du réseau.

C’est dans cette atmosphère de guerre civile que les premières révocations tombent dès le 13 octobre et que le mouvement de grève s’oriente inexorablement vers la reprise du travail, effective dès le 18 octobre.

Le conflit n’aura duré au final qu’une semaine mais Rémi Baudouï, selon lequel " c'est à Tergnier que la grève fut la plus importante", évoque un " choc traumatique " qui ébranle durablement les certitudes de la Direction du réseau au point de lui remémorer les rapports transmis par ce jeune chef de district de Saint-Denis préconisant une amélioration des conditions de travail ; un certain Raoul Dautry.

 greve-1910b.jpg

Photos présentées par Joël Bevierre dans le cadre de l'exposition " 160 ans de chemin de fer à Tergnier" - mai 2010.

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L'histoire d'une Histoire

 

Vue aerienne

 

 

Ville-champignon érigée autour des rails, Tergnier est une ville que l'on croyait sans autre histoire que celle du chemin de fer et de ses destructions successives par les guerres jusqu'à ce que la curiosité de l'un de ses habitants, ancien épicier, mette à jour des richesses jusqu'alors insoupçonnées venues du fond des âges.  

Sautez dans «  le train en marche » et partager cette formidable aventure humaine aux confins du compagnonnage et de la franc-maçonnerie, dans des registres où se côtoient les applications les plus modernes de la sociologie et les plus anciens rites de fondation des villes, la psychologie et l'économie, l'Histoire officielle et l'actualité d'un passé qui interroge le présent....