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11 janvier 2011 2 11 /01 /janvier /2011 11:58

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Cabinet médical, dispensaire, pharmacie: quelle ville de la taille de la Cité peut aujourd'hui encore rivaliser avec un tel panel d'équipements voués à l'hygiène et à la santé? 

 

En nous penchant sur les équipements sanitaires de la Cité, nous verrons combien la deuxième étape de notre transposition du diagramme social du C.C.A. au prototype urbain de Raoul Dautry coïncide avec la satisfaction du deuxième niveau de besoins recensés par Abraham Maslow chez l’être humain, annoncions-nous dans notre précédent billet.

Le deuxième niveau de besoin rappelons-le, est selon Maslow celui de la sécurité hors de laquelle aucun individu ne peut accéder au troisième niveau de besoins qui est celui de la reconnaissance sociale.

Une fois encore, ce sont les souvenirs de Joël Demarest, intarissable lorsqu’il évoque son enfance dans la Cité, qui mettent en exergue l’impact quotidien de la stratégie développée par Raoul Dautry. « Si en jouant il nous arrivait de nous écorcher, nous allions au dispensaire. Là, on désinfectait, on nous faisait un petit pansement et on retournait jouer ; et nos parents l’apprenaient lorsque l’on rentrait à la maison ! »

Entre l’école Pasteur et la Place de France, l’ensemble formé par le dispensaire, le cabinet médical et la pharmacie avait effectivement pignon sur rue. De part et d’autre de ce complexe : les bains-douches et la maison du docteur ainsi que, voisinant légèrement en retrait de la place de France avec l’école maternelle : le centre d’hygiène maternelle et infantile et la pouponnière.Assurément, rares étaient à l’époque ( et aujourd’hui encore) les villes de la taille de la Cité qui pouvaient se prévaloir d’un tel panel d’équipements voués à l’hygiène et à la santé.

En les concentrant au cœur de la cité, au premier rang des équipements collectifs qui bordent la grande place, Raoul Dautry leur affecte d’emblée une place centrale dans ses projets. C’est que l’éducation et l’hygiène quotidienne de vie constituent selon lui les données essentielles de la qualité et de l’espérance de vie.

Il s’en expliquera quinze ans plus tard devant les médecins du réseau de l’Etat ( NDR : celui du quart nord-ouest de la France) où, fort de son expérience du réseau du Nord, il sonne la mobilisation sanitaire générale.

« Voyez plus particulièrement où vont nos régions de l’Ouest, les vôtres, celles où vivent vos familles, où grandissent vos enfants » leur lance t-il. « Alors que la moyenne des décès est de 151 pour 10000 habitants en France… elle atteint 170 pour l’Eure, 176 pour le Calvados, 183 pour la Manche, et, chiffre record, 184 pour le Morbihan. » Des chiffres jugés «  affligeants » auxquels il ajoute ceux des statistiques de la caisse de retraite : 26% seulement des retraités du réseau de l’Etat atteignent alors l’âge de 75 ans contre 31% sur les autres réseaux.

Alors qu’il leur demande de son ton le plus incisif si «  ils attendent un miracle », Dautry dissuade les médecins d’attendre de solution ailleurs que dans l’accompagnement quotidien. « …L’Etat suit et ne dirige pas le caractère du citoyen. Ses codes balbutiants ou rigoureux ne sont que l’expression éphémère des votes de la cité mais ils ne font pas la cité. Ils reflètent les mœurs plus qu’ils ne les transforment. …Leur efficacité ne peut rivaliser avec la force lente mais intime et permanente de l’éducation dans la famille, l’école, l’atelier, la cité… »

Tout est dit : son combat pour l’hygiène et la santé sera quotidien, au même titre que ceux menés sur le front de l’alimentation et de l’éducation.

 

Mieux vaut prévenir que guérir

 

L’enjeu est de taille dans le contexte particulier du développement des réseaux ferroviaires. Dautry lui-même le reconnaît volontiers : «  le métier de cheminot est dur » aussi enjoint-il les médecins de n’accepter «  dès l’examen d’admission et surtout, à la fin de la période d’essai, que des hommes sains, des hommes vigoureux, des hommes sobres et, pour beaucoup d’emplois, des hommes aux réflexes sûrs et prompts. »

Ce haut niveau d’exigence est à la mesure de l’investissement humain à long terme consenti sur les réseaux, tel que le décrit l’historien et travailleur social Laurent Thévenet dans Aux origines de l’action sociale (ouvrage collectif ; Editions ERES, 2001): le réseau est une mécanique complexe dont la sécurité et la régularité appellent des hommes, disséminés sur des milliers de kilomètres, une fidélité et une fiabilité comparables à celles attendues des machines et des infrastructures.

Ces qualités, Raoul Dautry les encouragera jusqu’à préconiser la priorité au recrutement local et régional «  afin de ne pas déraciner les agents et d’éviter les demandes incessantes de mutation qui troublent et désorganisent souvent le service ».

Mais le métier n’est pas seulement exigeant, il est aussi nouveau et appelle à ce titre du personnel adapté qui n’existe pas, ou peu, sur le marché du travail. Ce personnel, il faut le former ; un investissement en soi que les directions des réseaux, à défaut de salaires mirobolants, s’efforcent de préserver de la concurrence du marché du travail par l’octroi d’avantages liés au contrat de travail. Ce sont les caisses de retraites ; ce sont aussi les assurances santé or sur ce point, le jugement de Dautry est sans appel : il coûte moins cher au réseau de prévenir que de tenter de guérir.

Dès 1917, il déplorait sans équivoque dans son rapport de gestion du premier arrondissement de la voie la stratégie du réseau du Nord en la matière ; ou plutôt l’absence de stratégie. « Mon attention a été depuis longtemps appelée dans les services que j’ai conduits, et particulièrement à Ermont et dans l’arrondissement, sur l’accroissement du nombre des maladies des voies respiratoires : un certain nombre de cas ont dégénéré en tuberculose sans qu’il y ait eu alcoolisme ou hérédité à l’origine » note t-il. « Je ne pense pas que nous soyons plus touchés que le reste de la France par cette maladie […] mais je suis d’avis que la Compagnie ne fait pas l’effort nécessaire pour en enrayer les progrès et en atténuer les effets. »

Que propose t-il ?  « Précisément parce que dans la majorité des cas la tuberculose se déclare à l’insu du malade, du fait de mauvaises conditions de vie, d’imprudence ou de négligence, j’estime que les médecins devraient lutter contre toutes les causes de tuberculose et en signaler les premières manifestations, au moment où la guérison est facile. »

Prônant la création d’une mutuelle subventionnée par le réseau et chargée d’ouvrir des maisons de « cures d’air et de repos », il estime que cette initiative - qu’il estime être « des plus importantes » que puisse prendre la Compagnie - «  n’entraînerait aucune dépense ; au contraire. »

Douze ans plus tard, en novembre 1927, il tiendra des propos similaires, aux médecins du réseau de l’Etat encore, lorsqu’il les sommera de faire «  que les dépenses médicales deviennent des dépenses productives. »

De là à prêter à Dautry des préoccupations essentiellement gestionnaires, il y a un pas à ne pas franchir.

 

Gagnant gagnant…

 

Raoul Dautry, rappelons-le, est mû en permanence par le dépassement des antagonismes. En atteste l’allocution prononcée en juillet 1925 devant La ligue contre les taudis toujours à propos de la lutte contre la tuberculose en particulier. Exhortant son auditoire à relayer ses propos auprès de «  l’industriel » et du «  commerçant » : «  à vous de lui montrer que les bénéfices seront d’autant plus gros qu’il aura eu, pour l’outil humain, les mêmes soins que pour ses moteurs ou ses marchandises. A vous de montrer que le dividende humain augmente le dividende Argent » lui lance t-il.

La route qu’il s’efforce d’ouvrir alors est encore longue. Lorsqu’il s’adressera aux médecins du réseau de l’Etat dix ans plus tard, en octobre 1935, la France sera encore en Europe l’un des pays présentant les taux de mortalité les plus élevés (151/1000) avec qui plus est un taux de natalité trop faible pour compenser en nombre les décès (le déficit est de 33500 au premier trimestre 1935). Mais au-delà du renouveau démographique français qui constitue un objectif collectif à long terme, Dautry vise à plus court terme un objectif particulier qu’il s’efforçait déjà de partager avec sa hiérarchie de la Compagnie du Nord en 1917. « Lorsque les agents de tout grade auront été associés dans une intime collaboration pour obtenir aux moindres frais et aux moindres peines les résultats les plus importants et les meilleurs, lorsque tous les chefs auront pris l’habitude de considérer leurs subordonnés comme des camarades de travail à qui ils se doivent de donner l’exemple du dévouement, de l’activité féconde et de la justice dans la répartition des tâches et des avantages, lorsqu’ils seront convaincus de les respecter comme ils respectent leurs propres supérieurs, de s’intéresser aux difficultés de leur service comme à celle de leur vie privée, de leur fournir l’assistance que les aînés ou les plus riches d’une famille doivent aux jeunes et aux moins fortunés, […] si des divergences politiques ou des différends économiques se produisent dans le pays, ils se résoudront sans difficulté et sans animosité entre compagnons de travail liés par l’estime et l’affection. »

Voilà bien l’atout majeur de Dautry : la confiance réciproque structurée selon les codes de la famille comme gage de sérénité au sein de l’entreprise; voilà bien aussi le deuxième niveau de besoins fondamentaux du genre humain à partir duquel Abraham Maslow complètera sa fameuse pyramide d’un troisième niveau englobant les besoins de reconnaissance sociale. Ce sera pour notre prochain billet qui, toujours en suivant la course du soleil à hauteur de la place de France, nous conduira au conseil d’administration de la Cité.

 

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Jouxtant l'école maternelle: la pouponnière et le centre d'hygiène maternelle et infantile.

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L'histoire d'une Histoire

 

Vue aerienne

 

 

Ville-champignon érigée autour des rails, Tergnier est une ville que l'on croyait sans autre histoire que celle du chemin de fer et de ses destructions successives par les guerres jusqu'à ce que la curiosité de l'un de ses habitants, ancien épicier, mette à jour des richesses jusqu'alors insoupçonnées venues du fond des âges.  

Sautez dans «  le train en marche » et partager cette formidable aventure humaine aux confins du compagnonnage et de la franc-maçonnerie, dans des registres où se côtoient les applications les plus modernes de la sociologie et les plus anciens rites de fondation des villes, la psychologie et l'économie, l'Histoire officielle et l'actualité d'un passé qui interroge le présent....