Lorsque l’on évoque auprès des vieux habitants de la cité le parc des Buttes Chaumont jaillit le souvenir d’un cadre merveilleux qui semble avoir durablement pétri le cours de leur existence. Les enfants qu’ils furent apprirent à arbitrer le conflit de leurs émotions de gamins en quête de sensations nouvelles et de la raison que s’évertuaient à leur faire entendre les adultes. Je le compris, et surtout je le ressentis, lors de la rencontre en présence de Daniel Druart de Joël Demarest et de son épouse Chantal.
Cela s’est passé le 16 janvier 2009. Dans le travail de sondage des informations avancées par Daniel et préalable à la rédaction d’un article, je voulais confronter ses souvenirs à ceux d’autres habitants de la cité.
Joël et Chantal Demarest sont enfants de cheminots mais ne connaissent de cette cité que la version reconstruite après son bombardement d’avril 1944 selon un schéma urbain totalement différent de celui adopté vingt-cinq ans plus tôt par Raoul Dautry.
Lorsque leurs familles s’établirent dans la cité au sortir de la guerre, la culture insufflée par Raoul Dautry avait néanmoins survécu à la destruction aussi ma surprise fut-elle grande de découvrir que Daniel, de quinze ans l’aîné de Joël et Chantal, partageait avec eux le souvenir des Buttes Chaumont dans les mêmes termes évoquant les mêmes sensations.
Joël – Le 14 juillet, ça se passait aux Buttes Chaumont !
Chantal – Moi, je me rappelle les bals qu’il y avait. J’étais jeune ; mes parents y allaient. Dans le lac, là bas…
Joël – Le lac, oui ! Il était vide !
Daniel – Après, il n’y a plus jamais eu d’eau. Moi… pendant la guerre, on adorait l’hivers parce que le lac gelait alors une fois qu’il y avait un peu d’épaisseur… Pchutt !
Joël avec un regard malicieux – Oh Marc… Un peu de notre jeunesse !
Chantal – Oh les Buttes Chaumont ! C’était joli…
Joël – Très joli !
Chantal – C’est pas comme là. Il y avait la cascade, tout ça… On était heureux d’aller voir l’eau…
Joël – Oh oui ; c’était joli ! Il y avait des ruisseaux dedans…
Chantal – Ah oui ! Les ruisseaux !
Joël à Daniel – Tu te rappelles, les ruisseaux ? Ils ont tout foutu en l’air après…
Chantal plongée dans ses souvenirs – Le petit pont en pierre, tout ça…
Joël – Magnifique !
Chantal – Oh, c’était d’une beauté tout ça !
Joël – Les gardes champêtres étaient souvent dans les Buttes Chaumont parce que…( un ton plus bas comme s’il voulait me mettre dans la confidence)… on va parler à la Demaret, à la Chenot ou à la Ducerf ( d’autres grands noms de la Cité d’après guerre), on fumait la liane ; on était tout con, tout jeune…
Daniel – L’armoise !
Joël – L’armoise!
Daniel – Roulée dans du papier journal !
Joël – Mais attention ! Il était interdit de faire du feu ! Si tu te faisais prendre à faire du feu, oh scandale ! Le garde champêtre t’aurait emmené !
Chantal – Oh ! Ils allaient chez les parents aussitôt hein ?!
Daniel – Et puis les branches des arbres, elles se rejoignaient…
Joël acquiesçant – Ouais…
Daniel – On montait dans un arbre…
Joël, d’un ton facétieux – Oui, oui oui !
Daniel à mon adresse – Comme les singes, tu vois ? Et les branches, elles s’abaissaient ; on changeait d’arbre !
Joël – C’était notre terrain de jeux !
Daniel – Tu avais le garde champêtre qui t’attendait au pied de l’arbre !
Joël à nouveau dans l’acquiescement – C’était interdit de monter dans les arbres Marc ! De fumer aussi ; enfin pas de fumer ; de faire du feu…
Daniel – Et nous on… ; enfin pour moi, c’est l’ancêtre du skate board : on démontait les voitures d’enfant et on gardait juste…
Chantal – Oh oui ! La caisse !
Daniel – Oui, la caisse.
Joël et Daniel d’une seule voix – Et hop ! Dans les pentes !
Chantal empreinte de regrets – Oh, on avait tout ce qu’il fallait !
"Tout ce qu’il fallait" à un enfant pour s’épanouir sous le regard intransigeant des gardes champêtres ; leur fil d’Ariane en quelque sorte, dans l’exploration de leur univers, des autres et d’eux mêmes.
Les Buttes-Chaumont aujourd'hui. Les enfants de l'école maternelle voisine y faisaient cette semaine leur carnaval.